Title: Voyage scientifique à travers l'Afrique occidentale
Soudan français, Sénégal, Casamance
Author: Auguste Chevalier
Release date: October 24, 2025 [eBook #77116]
Language: French
Original publication: Paris: A. Challamel, 1902
Credits: Galo Flordelis (This file was produced from images generously made available by the Biodiversity Heritage Library/Missouri Botanical Garden)
Cet article a été extrait et préparé à partir de sa version publiée dans Annales de l'Institut Colonial de Marseille, t. 9, 1902.
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| Mission A. Chevalier, 1899-1900. | Sénégal-Soudan. |
Fig. 1. — Thiès. — Un Baobab pendant la saison des pluies.
Vers la fin de l’année 1899, après avoir consulté divers spécialistes coloniaux au nombre desquels il voulut bien me comprendre, M. le gouverneur général Chaudié prit la louable résolution de faire organiser une mission de jeunes savants appelés à aller étudier sur place les richesses naturelles peu connues encore du Sénégal et d’en rapporter des spécimens pour les faire figurer à l’exposition universelle de 1900. C’était la meilleure manière d’appeler l’attention sur des produits jusque là restés sans utilisation ou même inconnus, et d’asseoir sur une étude raisonnée et méthodique de ces ressources l’effort de la colonisation et la mise en valeur du Sénégal. Cette mission fut constituée ainsi qu’il suit : M. le Dr Lasnet, médecin des colonies, était appelé (ses observations antérieures sur la côte occidentale d’Afrique le désignant plus particulièrement pour cette spécialité) à étudier l’ethnographie et à diriger la mission ; M. Cligny, agrégé, docteur ès sciences, et plus particulièrement zoologiste, était chargé de l’étude de la faune ; M. Rambaud, licencié ès sciences et plus spécialement géologue, était chargé des études stratigraphiques et géologiques ; enfin, à M. Chevalier, botaniste, licencié ès sciences, était réservée toute la partie essentiellement végétale. Pour être complet, je dois ajouter que M. Tranchant, peintre, ancien élève de l’École des Beaux-Arts, avait été, à titre d’adjoint, chargé de la partie artistique. L’œuvre de cette mission, bien que réalisée dans un temps très limité (elle arriva de Saint-Louis en novembre 1899 et devait rentrer en avril 1900, date de l’ouverture de l’Exposition), a donné des résultats inespérés. Ils[6] ont fait l’admiration de tous ceux à qui a pu échoir la bonne fortune de pouvoir examiner en détail les produits qu’elle a exposés dans le pavillon du Sénégal-Soudan au Trocadéro. On peut dire sans crainte qu’elle a fait mieux connaître et apprécier le Sénégal.
Mais la principale contribution apportée à ce succès est certainement due à M. A. Chevalier dont la sphère d’action et d’observation a été de beaucoup plus large que celle de ses collègues. Ce jeune savant avait, en effet, utilisé toute l’année 1898 à une exploration scientifique du Soudan, organisée par le général de Trentinian, en vue d’étudier les ressources végétales d’une vaste région dont la conquête était récente. Il la terminait à peine et se proposait de rentrer en France pour prendre un repos très mérité, pour mettre de l’ordre dans ses magnifiques récoltes, enfin pour en publier les résultats, lorsque, à son passage à Saint-Louis, en fin 1899, M. le gouverneur général Chaudié lui demanda de poursuivre son œuvre au Sénégal. Et c’est ainsi que nous avons eu le double avantage de voir au Trocadéro les produits végétaux utilisables et peu connus du Soudan et du Sénégal exposés sous le nom de M. Chevalier.
Voici comment s’exprime fort justement, au sujet de cette collection, l’auteur anonyme de la notice sur le Pavillon du Sénégal-Soudan à l’Exposition de 1900[1] : « Les collections exposées par ce distingué botaniste occupaient la plus grande partie des vitrines réservées à la mission. Elles ne renfermaient cependant qu’un nombre infime des plantes qu’il a recueillies au cours de ses deux explorations. M. Chevalier a parcouru un itinéraire de 8.000 kilomètres et a réuni 10.000 échantillons botaniques qui permettront d’élaborer une flore à peu près complète du Sénégal et une flore déjà sérieuse du Soudan.
« Dans ses collections figuraient de nombreux spécimens de Graminées, de plantes alimentaires et de plantes médicinales. Les plantes industrielles, les plantes tinctoriales et[7] textiles, les plantes à caoutchouc et à gomme étaient aussi largement représentées.
« Citons une curieuse plante saccharifère : le bourgou, qui croît en abondance et sans culture aux rives du Niger, et sur laquelle M. Chevalier a, le premier, attiré l’attention. Le bourgou pourrait, d’après lui, servir à fabriquer sur place un sucre à bon marché à l’usage des noirs. Citons encore la liane à indigo Caraba (Lonchocarpus cyanescens) dont il a le premier signalé l’emploi par les indigènes.
« Dans son exploration de la flore, M. Chevalier a été préoccupé surtout de la recherche des végétaux qui peuvent contribuer au développement économique de la colonie en lui fournissant des produits utilisables. Il s’est demandé quels sont les meilleurs procédés de culture et de récolte, par quels moyens on peut améliorer les espèces existantes. La notice et les rapports dont sa mission fait l’objet seront consultés avec fruit par tous ceux que préoccupe l’avenir de notre grande colonie de l’Afrique occidentale. » J’ai cité ce passage tout entier parce qu’il indique déjà dans quel sens sera orienté et avec quelle ampleur de vue conçue la relation de ce voyage par son auteur.
La mission organisée par le général de Trentinian comprenait une quinzaine de membres. On connaît les intéressants rapports de M. Coppolani, chargé de l’étude des questions afférentes à l’Islam, ceux de M. Henri Hamet sur le caoutchouc ; M. Baillaud a fait connaître, dans la Géographie (1900), ses observations sur l’organisation économique du pays et sur les routes commerciales qu’il a suivies dans le nord. Quant aux artistes de la mission, MM. Mérite et H. de la Nézière, leurs œuvres ont figuré, en 1900, au Salon et à l’Exposition universelle (Pavillon du Sénégal-Soudan). En somme, cette exploration a montré que si le Soudan n’est pas d’une richesse incomparable, il recèle cependant suffisamment d’éléments de prospérité pour devenir une colonie de premier ordre. Ses produits forestiers de haute valeur, comme le caoutchouc et la gomme, une agriculture indigène très avancée, enfin une population déjà nombreuse de noirs généralement intelligents,[8] attachés au sol, facilement perfectibles en tant que cultivateurs ou éleveurs, sont autant de facteurs déjà acquis pour une colonisation rapide, si nous savons les utiliser conformément aux espérances de la France. Cette mission aura en outre mieux fait connaître le pays et fourni des résultats généraux très appréciables, capables d’éclairer la route que la colonisation devra suivre désormais, et de la fixer sur les moyens d’ensemble dont elle peut disposer. Ce sera donc le grand honneur du général de Trentinian d’avoir été un des premiers à préparer cette colonisation en envoyant sur place des chercheurs spécialisés dans diverses branches de la science en vue d’étudier, au Soudan, les ressources de tout ordre. Il est à souhaiter que ce double exemple, venu d’une part du général de Trentinian et de l’autre de M. Chaudié, soit contagieux, car il reste encore bien des colonies à explorer avec méthode. Malheureusement la dislocation du Soudan a fait, au point de vue qui nous occupe, reléguer au second plan l’intérêt d’ensemble qui résulte de ces explorations scientifiques et qui s’attachait à cette contrée, une alors, et aujourd’hui démembrée. Dans cette mission spéciale au Soudan, M. Chevalier était chargé de toute la partie botanique, et c’est son journal de voyage que nous publions partiellement ici aujourd’hui.
Embarqué à Bordeaux le 18 novembre 1898, il arrivait à Bamakou, sur les bords du Niger moyen, dans les premiers jours du mois de janvier 1899. Le séjour de M. Chevalier dans la boucle du Niger se divise en deux étapes très distinctes : d’une part, l’itinéraire à travers la région sud et le territoire militaire de la Volta ; de l’autre, le parcours des régions du nord et en particulier la traversée de la région de Tombouctou. Partout il a fait preuve des mêmes qualités : d’une part, endurance aux privations qu’impose forcément une pareille mission, et, de l’autre, opiniâtreté au travail de récolte et sagacité profonde dans l’observation. Je voudrais laisser, avant qu’il aborde les détails du superbe et long voyage dont le panorama va se dérouler sous ses yeux, le lecteur sous l’impression de l’immensité des difficultés vaincues et de la fécondité des résultats obtenus malgré les moyens très restreints[9] dont disposait la mission. M. Chevalier, oubliant un moment la fin tragique de son camarade Legeal, avec la modestie qui le caractérise, a bien déclaré dans une des nombreuses conférences qu’il a faites depuis son retour, qu’au moment où il réalisait son voyage, on pouvait déjà circuler à travers presque tout le Soudan français, même dans les territoires militaires, sans le secours d’une escorte armée. Il est allé plus loin et affirme que dans les provinces encore inexplorées, mais où le prestige du blanc est solidement assis, l’Européen, accompagné de deux ou trois tirailleurs dont les chéchias et les fusils en imposent toujours, passera sans difficulté partout où des troupes plus fortes échoueront. Mais ce sont là des manifestations de la confiance que donne légitimement le succès, et, à ce point de vue, nul n’était plus autorisé que M. Chevalier à tenir ce langage rassurant pour tous les explorateurs de l’avenir.
Professeur Dr Édouard Heckel,
directeur-fondateur des Annales de l’Institut colonial.
Il a fallu la bienveillante insistance de M. le professeur Heckel pour me décider à publier les notes de voyage qui vont suivre. Simples observations de brousse détachées des carnets d’un naturaliste, elles n’ont d’autre intérêt que d’être l’expression de ce qu’il a vu touchant l’histoire naturelle et l’agriculture tropicale, au cours d’un voyage de dix-huit mois accompli au Soudan et au Sénégal de 1898 à 1900. Ce sont des notes écrites sans prétention, pendant les fatigues de chaque étape journalière, souvent même aux haltes de quelques minutes que l’on fait en marche pour reposer les porteurs, et elles gardent l’empreinte des circonstances défavorables dans lesquelles elles ont été rédigées. Le plus souvent, en effet, il m’était impossible de revoir ces notes aux gîtes d’étapes et dans les postes où je passais. Les naturalistes, au courant des difficultés que l’on éprouve à préparer d’importantes collections botaniques dans n’importe quel pays tropical, comprendront la peine que j’ai dû avoir pour former ces collections dans un pays nouveau, non organisé et à peine pacifié, où il fallait chaque jour lever la tente pour aller camper à 25 ou 30 kilomètres plus loin, et transporter constamment, par tous les temps, ces mêmes collections qui comprenaient à mon retour, environ 3.000 numéros, 10.000 parts d’herbiers et plus de deux tonnes d’échantillons de bois, de[12] plantes dans l’alcool et de produits végétaux divers. Dans de semblables conditions, même en ayant la bonne fortune de ne pas être terrassé par la fièvre, il est impossible à un Européen voyageant seul, de songer à compléter les notes qu’il a prises en route : tout le temps disponible doit, en effet, être consacré à former les collections et à les préparer.
Ces notes, ébauchées rapidement, avaient donc besoin d’être soigneusement revues à mon retour, complétées par des observations que je n’avais pas eu le temps de consigner en cours de voyage, et élaguées de tout ce qui était superflu. J’aurais voulu, en outre, donner un tableau complet des récoltes botaniques de chaque jour et encadrer le tout dans quelques chapitres où j’aurais généralisé les observations de détail en présentant un tableau synthétique des résultats de la mission.
Malheureusement, absorbé par les préparatifs d’un nouveau voyage dans l’Afrique centrale (région du Chari), le temps m’a manqué pour pratiquer ces retouches et rassembler en un tout uniforme ces extraits de mes carnets de voyage que je présente tels qu’ils ont été écrits sur place.
Je prie donc le lecteur de m’accorder toute son indulgence pour ce modeste opuscule.
Dans la seconde partie, je donnerai ultérieurement un tableau des végétaux utiles les plus remarquables étudiés au cours de mon expédition.
Qu’il me soit permis d’exprimer ma reconnaissance à M. le professeur Heckel qui a bien voulu accueillir ce travail dans les Annales de l’Institut colonial de Marseille et se charger des retouches, de l’impression et des corrections avec le concours de M. le professeur Perrot.
[13]Je tiens à remercier également M. J. Poisson, assistant au Muséum d’histoire naturelle, et M. Hua, sous-directeur du laboratoire de botanique systématique de l’Ecole des Hautes-Études, pour les précieux conseils qu’ils m’ont donnés dans la détermination de mes échantillons botaniques.
Mon voyage en Afrique tropicale, accompli sous les auspices du Ministère des colonies, a duré dix-sept mois, de la fin de novembre 1898 à la fin de mars 1900. Au moment de la capture de Samory, en octobre 1898, M. le général de Trentinian, lieutenant-gouverneur du Soudan français, organisa une mission économique dont une partie des membres devaient étudier les moyens de mettre en valeur la nouvelle colonie. C’est de cette mission que j’eus l’honneur de faire partie, avec le programme bien précis de m’occuper de l’étude de la végétation et spécialement des ressources agricoles et forestières du Soudan.
Pour le remplir, il me fallait une grande liberté d’action et les moyens de parcourir tout le pays depuis la région forestière de la Côte d’Ivoire jusqu’à la région désertique du Sahara. Cette liberté et ces moyens, M. le général de Trentinian me les accorda avec une bonté dont je lui suis profondément reconnaissant. Après avoir suivi la ligne d’étapes habituelles : Badumbé-Kita, Bammako et remonté le Niger jusqu’à Siguiri, je visitai successivement la région sud du Soudan (cercles de Siguiri, Kankan, Kouroussa, Bougouni) ; l’ancien pays de Samory (Wassoulou) ; le territoire de Sikasso que nous venions d’occuper après un siège sanglant (1er mai 1898) ; la région de Sindou et le Pays de Tourgas (ou Turcas) qui n’était pas encore conquis ; le Territoire de la Volta (Bobo-Dioulasso[14] et San) ; le Minianka en pleine effervescence quand je le traversai ; le cercle de Djenné ; la région Nord ; Tombouctou où je séjournai près d’un mois ; les abords des grands lacs (lacs Télé, Faguibine, Daouna, Sompi, Débo) ; enfin, je revins par la merveilleuse vallée du Niger moyen, où je pus étudier à loisir les prairies du bourgou et fixer l’avenir du coton dans cette contrée.
Pendant tout le temps que dura ce voyage, je reçus les encouragements les plus bienveillants, l’aide la plus effective de M. le général de Trentinian, et au moment de rentrer en France, peu de semaines avant la dislocation du Soudan, il me faisait parvenir à Tombouctou le télégramme suivant :
No 2051. Lieutenant-gouverneur à M. Chevalier, chargé de mission, attendu à Tombouctou.
« Général de Trentinian me charge de vous transmettre télégramme suivant ; citation : je suis heureux de vous voir prolonger au Soudan votre séjour dont la colonie et la science tireront large profit. Obligé d’aller prendre quelques mois de repos en France, je vous prie d’adresser vos rapports au colonel Vimard qui connaît vos recherches et s’intéresse vivement à votre mission. »
Signé : Colonel Vimard.
Si je voulais citer tous les officiers et les administrateurs civils qui favorisèrent mes travaux, il me faudrait nommer tous les Européens rencontrés dans les postes que je visitai. Je suis très fier de dire que c’est en grande partie à leur aide, à leur excellente hospitalité qui me dispensait des soins matériels de la vie pendant mon[15] séjour dans les postes, à la bonne volonté et même au dévouement qu’ils mirent toujours à me procurer les escortes et les moyens de transport pour mes collections — et ce n’était pas une mince besogne ! — c’est grâce à toutes ces circonstances favorables, dis-je, que j’ai pu recueillir dans un pays où la végétation est pauvre, des collections relativement importantes.
Je n’ai garde enfin d’oublier le brave Morifin Khôné, Bambara originaire du village natal de Samory, et qui, avant mon arrivée avait déjà, comme domestique d’officiers, couru tous les sentiers du Soudan pendant les dernières campagnes, et le petit Seïdon Diallo, jeune Toucouleur dont l’intelligence éveillée me permit de recueillir un ample vocabulaire des noms de plantes dans les diverses langues soudanaises.
Tous les deux, comme préparateurs, m’ont rendu de grands services, et l’excellent Morifin m’a accompagné pendant toute la durée de mon voyage au Soudan avec un dévouement absolu. Collaborateurs inconcients, ils ont contribué, sans le savoir, à faire connaître aux hommes blancs les richesses végétales de leur beau pays.
Mon expédition botanique du Soudan était heureusement accomplie et j’allais rentrer en France, lorsqu’à mon passage à Saint-Louis, dans les premiers jours de décembre 1899, je fus retenu par M. Chaudié, gouverneur général de l’Afrique occidentale, pour continuer les mêmes recherches au Sénégal.
M. Milhe-Poutingon, directeur de l’Afrique à l’Union coloniale, nommé commissaire de l’Exposition du Sénégal (Exposit. Univ. 1900), avait eu l’heureuse pensée de constituer une mission technique qui devait aller recueillir sur place les matériaux scientifiques propres à faire[16] connaître « les ressources qui peuvent se trouver en germe dans les couches géologiques, dans la faune et la flore si variées et encore si imparfaitement connues de la colonie ».
Comme botaniste de cette mission qui comprenait en outre : MM. le Dr Lasnet, chargé des recherches ethnographiques ; Cligny, des recherches zoologiques, et P. Rambaud de la géologie, je restai quatre mois de plus en Afrique occidentale. Pendant ce temps, je parcourus une partie du Cayor et du Baol, la région littorale des Nyayes, la presqu’île du Cap-Vert, enfin le territoire de la basse et la moyenne Casamance.
L’administration du Sénégal voulut bien continuer à la nouvelle mission la même bienveillance et les mêmes marques d’intérêt qui avaient tant favorisé la réussite de l’expédition scientifique du Soudan.
C’est pourquoi je suis heureux de rendre un commun hommage de reconnaissance à M. le gouverneur général Chaudié et au général de Trentinian.
J’ai en outre de grandes obligations envers : MM. Aubry-Lecomte, directeur des affaires indigènes du Sénégal, et de Caze, administrateur en chef des colonies ; Léon d’Erneville, président du Comité local de l’Exposition du Sénégal ; l’administrateur Valzi et le capitaine Séguin, commandants des cercles de la Casamance ; Marsat, maire de Dakar ; Gabard, maire de Rufisque, mort quelques semaines après mon départ, victime de son dévouement pendant l’épidémie de fièvre jaune de 1900. Je les remercie pour l’aide qu’ils m’ont procurée. — Enfin, j’ai trouvé dans les principaux comptoirs commerciaux de la côte le plus obligeant accueil, notamment aux factoreries de la Compagnie française de l’Afrique occidentale[17] et aux maisons Devès et Chaumet, Morel frères, Maurel et Prom, Roy et Laglaize, etc.
Les représentants de ces maisons ont grandement favorisé ma tâche et m’ont procuré parfois d’utiles renseignements sur la valeur et l’avenir économique des productions que j’étais chargé d’étudier.
Grâce à ces concours précieux, j’ai pu, malgré la trop courte durée de la mission du Sénégal, recueillir, outre les produits qui ont figuré à l’Exposition universelle de 1900 et qui ont été donnés au Jardin colonial de Nogent-sur-Marne, un nombre important de collections de plantes et noter bon nombre d’observations nouvelles sur l’agriculture indigène d’un pays déjà étudié à de fréquentes reprises, depuis deux siècles.
Quelques naturalistes de valeur se sont, en effet, avant mon voyage, occupés de la flore du Sénégal et ont formé, dans cette contrée, de riches collections conservées au Muséum d’histoire naturelle de Paris.
Je citerai seulement ceux à qui nous devons les plus importantes recherches : l’illustre Adanson parcourut le Sénégal de 1749 à 1753 ; le jardinier J.-M.-C. Richard, fondateur de la station de Richardtoll, le plus ancien jardin d’essai des colonies françaises, demeura au Sénégal de 1817 à 1820.
Le pharmacien Leprieur, botaniste distingué, parcourut une grande partie de la colonie de 1824 à 1829.
Le botaniste-agronome Perrottet, directeur des cultures de la Sénégalaise, puis, chargé de voyages scientifiques par la colonie, resta au Sénégal de 1824 à 1829, et à son retour en France, il commença, en collaboration avec les botanistes Guillemin et Claude Richard, la publication de la Flore de Sénégambie, ouvrage dont[18] malheureusement un seul volume sur trois a été publié de 1830 à 1833.
Le naturaliste Heudelot fit un premier séjour au Sénégal de 1825 à 1831, comme directeur des cultures de l’établissement de Richardtoll et en rapporta quelques plantes. De 1830 à 1837, il fut chargé de mission au Sénégal par le Muséum d’histoire naturelle, il parcourut les pays nouveaux du Wallo et du Ouli, les rives de la Gambie, la Casamance et le Rio-Nunez. Dans cet important voyage, il a recueilli des collections botaniques qui ont constitué, jusqu’à ces dernières années, le fonds le plus considérable concernant la flore de l’Afrique occidentale.
Le jardinier Th. Lécard s’occupa d’études agricoles au Sénégal de 1865 à 1867 ; en 1880, le Ministère de l’Instruction publique le chargea d’une mission dans le Haut-Fleuve ; de ce dernier voyage il rapporta un herbier assez important et les fameux Ampelocissus ou « vignes du Soudan » autour desquels on fit tant de bruit en 1881.
Malheureusement la plupart des collections que ces voyageurs ont formées, au prix d’efforts si pénibles, dorment dans nos musées nationaux, et, jusqu’à ce jour, il ne s’est pas trouvé un botaniste français pour reprendre l’œuvre commencée par Guillemin et Perrottet et interrompue par la mort de l’un et le départ de l’autre pour l’Inde française. La flore du Sénégal, colonie française depuis cinq siècles, reste encore à publier !
Les matériaux d’études ne manquent pourtant pas. Pour le Soudan français, il en est autrement.
Toutes les tentatives faites par des naturalistes, avant l’expédition du général de Trentinian, pour aller étudier[19] la flore et les productions agricoles et forestières du Soudan, ont malheureusement échoué.
Heudelot avait le désir ardent de pénétrer dans le pays de Bambara, jusqu’à la province du Bourré et jusqu’au Niger, et revenir ensuite à travers le Fouta-Djalon. Dans une lettre datée de Saint-Louis, le 10 juillet 1837, lettre retrouvée dans les archives du Muséum, il parle de ce voyage avec enthousiasme. Il avait, hélas ! trop préjugé de ses forces. Épuisé par les fatigues de son précédent voyage aux Rivières du Sud et brisé par les fièvres, il mourut quelques semaines plus tard sans avoir pu entamer son projet.
En 1880, Lécard ne put s’avancer au delà de la moyenne Falémé et il mourut un mois à peine après son retour en France.
Vers 1888, sur la demande du colonel Galliéni, le Ministère de l’Instruction publique confiait une mission à un jeune botaniste du Muséum, M. Berthelot, préparateur au laboratoire de botanique systématique de l’École des Hautes-Études. Berthelot mourait à son tour au Félou peu de jours après son arrivée à Kayes, avant d’avoir pu commencer ses recherches.
Plus heureux que mes devanciers, j’ai pu, non seulement atteindre le Niger moyen, mais encore parcourir pendant près d’une année les territoires de la boucle de ce grand fleuve et m’avancer, d’une part, dans le territoire de la Haute-Volta, de l’autre, dans le territoire de Tombouctou, où notre infortuné camarade Legeal, le géologue de la mission du général de Trentinian, avait été massacré par les Touareg quelques mois plus tôt.
Bien que j’aie vu se succéder toutes les saisons dans cette contrée et que j’aie accompli un itinéraire de 8.000[20] kilomètres à travers la brousse et le long des fleuves soudanais, je demeure convaincu que les collections que j’ai rapportées sont bien modestes par rapport à ce qui reste à découvrir dans ces vastes savanes. Elles forment les premiers éléments pour la flore du Soudan. Mais pour bâtir un monument comparable à celui que les Allemands ont édifié pour la flore de l’Afrique orientale allemande, il faudra encore l’effort de nombreux travailleurs. Les naturalistes français qui voudront s’engager dans cette voie trouveront, pour leurs recherches, un champ immense, une mine inépuisable à exploiter. Et à leur retour ils auront, comme nous l’avons eue, la satisfaction d’avoir accompli le plus beau voyage qu’il soit possible de rêver et d’avoir goûté dans la brousse immense, au milieu de la nature vierge, les jouissances les plus pures et les plus variées. Enfin, s’ils découvrent, parmi les richesses infinies de la flore tropicale, des produits nouveaux utilisables pour l’homme, ou s’ils saisissent de meilleurs procédés d’exploitation des produits déjà employés, ils auront contribué à la grandeur de leur pays dont les colonies sont aujourd’hui la suprême ressource. En outre, ils auront aidé, selon leurs moyens, à assurer le développement de la vie humaine et l’épanouissement de la civilisation dans l’Afrique noire si déshéritée à tant d’égards.
Paris, le 25 mars 1902.
| Mission A. Chevalier, 1899-1900. | Sénégal-Soudan. |
Fig. 2. — Bakel. Bords du Sénégal.
[23]UN VOYAGE
SCIENTIFIQUE
A travers l’Afrique occidentale
SOUDAN FRANÇAIS, SÉNÉGAL, CASAMANCE
PAR
M. Auguste CHEVALIER,
Docteur ès-sciences naturelles,
Botaniste du laboratoire colonial du Muséum
Bammako
Région du Haut-Niger et ancien pays de Samory (de Siguiri à Sikasso par Kouroussa, Kankan et Bougouni).
15-21 janvier 1899. — Bammako est situé à 1.800 mètres du Niger, dans une sorte d’entonnoir formé dans la région montagneuse environnante qui livre passage au Niger. Des ruisselets ne tarissant jamais coulent au fond de vallons étroits et se précipitent par chutes d’eau dans la vallée du Niger.
Les collines environnantes ont en moyenne de 400 mètres à 500 mètres d’altitude au-dessus de la mer.
Les contreforts de ces collines viennent se terminer sur la rive gauche du Niger, au pied même de la ville, en des sortes de tables séparées par d’étroites coupures entaillées dans les rochers de grès. Tel est, par exemple, le vallon du Soknafi.
[24]Le poste est à 2 kilomètres du fleuve ; sur la route qui y conduit, les Européens ont planté une belle avenue de n’tabas (Sterculia cordifolia Cav.) et des doubalés (Ficus Rokko Warb. et Schweinf.). A 600 mètres de là, on aperçoit sur la droite de la route un bosquet sacré. C’est là que les Bambaras se réunissent certaines nuits et que les griots se réfugient pour accomplir les rites de leur fétichisme.
En quittant la route du Niger pour s’enfoncer dans un sentier suivi seulement par les piétons, large au plus de 50 centimètres, on rencontre sur la droite un arbre gigantesque dont le tronc a de 6 à 8 mètres de circonférence et dont les rameaux dénudés s’étendent sur un immense rayon. C’est un Ficus de la section Sycomore dont les feuilles ovales-allongées, au début de leur végétation, sont teintées en rouge écarlate et font ressembler de loin l’arbre à un gigantesque Fromager à fleurs pourpre (Bombax Buonopozense Beauv.).
En continuant à suivre le sentier, on traverse un bois-taillis couvert de Sés ou Karités (Butyrospermum Parkii Kotschy) ; il s’y trouve aussi à profusion des buissons d’un arbuste en fleurs, dont les quatre pétales d’un blanc sale, incurvés, répandent une odeur agréable de vanille. C’est le Ximenia americana L. Partout on trouve la plante à fleurs jaunes.
Une région, au pied de collines, est couverte de Légumineuses atteignant jusqu’à 2 m. 50 de haut. On arrive au bas d’un escarpement de grès stratifiés, que les mulets ne peuvent franchir ; les femmes le gravissent pour arriver plus vite au village. Nous sommes obligés de tourner la roche en descendant vers le ruisseau, puis nous traversons des clairières dénudées, couvertes d’éboulis de roches ferrugineuses latéritiques : sortes de poudingues, formés de blocs gréseux cimentés dont la taille varie de celle de la tête à celle d’une noisette ; ces rognons anguleux ne sont pas roulés. Dans le fond du vallon coule paisiblement un marigot ; de grandes tables de grès caverneux, très ferrugineux, avec du grès supérieur compact, viennent mourir à nos pieds.
Les rives très verdoyantes sont bordées de palmiers ban (Raphia vinifera Beauv.) d’énormes n’tabas en fleurs, de Ficus[25] à grandes feuilles, de Cassia en fleurs, de Karités. Au-dessous de cette haute végétation, se trouvent : une petite Composée à fleurs violettes répandue partout dans ce genre de station au Soudan (c’est un Ageratum très voisin de celui que nos horticulteurs cultivent), une Papilionacée à fleurs jaunes en grappe, une sorte de niébé sauvage (Vigna) grimpant dans les n’tabas, une espèce de Dioscorea formant des buissons épais, malheureusement non fleuris. Le fond du ruisseau est couvert d’algues vertes analogues à nos lentilles d’eau, on y trouve aussi le Nitella gracilis d’Europe. Sur les bords croissent des Cypéracées spéciales.
Une partie des terrains avoisinant le village est transformée en champs de mil récolté et en jardins. A 500 mètres environ des jardins, on passe sous un gros sé couvert de gris-gris attachés (chiffons, plumes, brins d’herbe). Tout homme qui arrive ici doit déposer quelque chose sur l’arbre, s’il veut éviter d’être inquiété par les mauvais génies. Enfin près de l’entrée existe un bois sacré ou comatou dont l’étendue est de 20 ares environ. C’est un massif épais de verdure, formé d’arbres et de lianes qui les enlacent ; le tout constitue un fourré inextricable sous lequel on peut pourtant circuler à travers d’étroites galeries. Par les trouées on peut entrevoir la végétation formée de Tamariniers, d’Acacia pennata Willd. à fleurs blanches en boules, de Cassias (tribas), de sabas (Landolphia Senegalensis D. C.) enlacés dans les arbres.
Le lundi, les habitants (hommes adultes) s’y réunissent. Le chef du village pénètre le premier dans le bosquet et sacrifie des poulets et des pintades. Ces oiseaux sont cuits sous le Karité et mangés en commun en buvant du dolo (bière de sorgho, fabriquée pour la circonstance). Les femmes et les enfants n’assistent pas à ce repas nocturne, et si par hasard une femme s’aventure de ce côté, dès qu’elle s’aperçoit de sa méprise, elle s’enfuit éperdue en poussant des cris. On voit, sous le Karité, des traces de quatre à cinq feux avec pierres, servant à faire cuire les volailles tuées chaque semaine dans le bois sacré.
Dans le village de Sicoro, il existe un grand doubalé (Ficus[26] Rokko) avec onze troncs enracinés qui, à la manière du Banyan de l’Inde (Ficus religiosa L.) soutiennent comme des piliers les branches de l’autre. Ces troncs s’enterrent sur un périmètre de 30 pas. Quoique l’un d’eux soit un peu plus gros que les autres, il est impossible de reconnaître lequel a constitué la tige primitive. Du haut de l’arbre descendent, enlacés sur le tronc ou les branches, des faisceaux de racines de grosseurs variables. Il y en a de la taille du bras ; d’autres, plus grêles que les doigts de la main, pendent sans pouvoir atteindre encore le sol. Les troncs qui pénètrent en terre paraissent, eux-mêmes, formés de plusieurs faisceaux de racines accolées à une racine centrale bien plus forte. Ce banyan a des feuilles vertes assez récentes. Il n’y a pas encore trace de fleurs. Il est situé devant la case du chef de village et sert d’arbre à palabres. Deux grandes dalles de schiste noir servant de sièges, ainsi qu’une chaise basse analogue au siège de Samory, se trouvent au pied du banyan. Les grosses racines du Ficus courent en saillie au-dessus du sol et peuvent aussi servir de sièges. Sous l’arbre, je remarque une grande quantité de graines de palmier ban, dont les enfants ont mangé la pulpe.
Les cours sont ordinairement entourées de murs en terre hauts de 2 mètres environ. Une rue, large par endroits de 1 m. 50 à peine, traverse le village dans toute sa longueur.
Je me dirige vers Goumi, en suivant la vallée du Bankoni. Cette vallée très humide est riche en humus mais elle est très étroite. D’un côté c’est le marais, de l’autre, c’est le rocher. Chacune de ces stations possède sa végétation propre. Le marais est ordinairement occupé par de petits jardins clôturés. On y trouve beaucoup d’oignons indigènes et quelques pieds de piments. J’ai remarqué aussi quelques arbres, notamment des Papayers avec fruits. Le bord du ruisseau est occupé par de nombreux palmiers ban et par beaucoup de n’tabas aux fleurs parfumées. La circonférence de quelques troncs est de 3 à 4 mètres. Souvent les rameaux fleuris pendent jusqu’au ras du sol.
Au delà de Sicoro je rencontre deux Sés (Karités) en fleurs, mais ceux-ci ont conservé une partie de leurs vieilles feuilles. Je remarque aussi deux Tamariniers fleuris.
[27]Les terres cultivées en Mil (depuis longtemps récolté) s’avancent jusque dans le rocher entre les blocs de pierre. Sur ces rochers croissent beaucoup de grandes Euphorbes cactiformes donnant au paysage un aspect très caractéristique.
Au bord du ruisseau, un espace très humide à terrain sablonneux, non envahi par les grandes herbes, représente une rizière abandonnée. Ce sol est très riche en plantes intéressantes. Pour le rendre propre à la culture, les habitants ont groupé le sol par tas, afin de faire couler les eaux dans les intervalles ; ils préparent ainsi la terre pour les cultures de l’hivernage prochain.
A 500 ou 1.000 mètres du village, j’aperçois un groupe de plusieurs beaux Ficus à gros fruits, appelés tourous. C’est le Sycomore du Soudan occidental. Quelques troncs peuvent avoir 6 mètres de circonférence. Lorsque le soleil devient trop ardent, nous rentrons à Bammako en longeant le pied de la falaise gréseuse et nous cheminons pendant plus d’une heure à travers une brousse assez épaisse, parsemée de loin en loin de verts buissons de lianes à caoutchouc ordinairement très chétives.
(à 2 kilomètres de Bammako entre les carrières et la route de Kayes).
Le ruisseau du Soknafi passe dans Bammako tout près du poste. En amont des carrières de grès de Bammako, servant à l’empierrement de la route, il coule dans la vallée au milieu des champs de Mil. Sa largeur est seulement de 1 à 2 mètres. Sur des sables desséchés qui sont dans son lit, croissent quelques herbes et une Fougère ; sur les bords, une touffe d’Ampelocissus en fleurs (Vigne du Soudan) a des tiges divergentes hautes de 0 m. 50 à 1 mètre et formant de petits buissons. Je trouve aussi une Papilionacée à fleurs jaunâtres et à feuilles entières ; c’est une sorte de mébé en fleurs et fruits grimpant dans les buissons. Au bord du ruisseau, croissent de nombreux et beaux Ficus nommés toros par les indigènes, et[28] des n’tabas en fleurs. Ces fleurs visitées par les fourmis ont des corolles souvent mutilées.
C’est sur ce ruisseau, à 1 kilomètre environ du poste, que se trouve la jolie cascade que l’on entend bruire à plusieurs centaines de mètres de distance. L’eau tombe du haut du Soknafi sur des rochers en gradin d’une longueur de 150 mètres environ. Les bords de cette chute sont occupés par une verdure épaisse, formée surtout de massifs de lianes se rejoignant d’un bord à l’autre. Du côté du nord, croissent de petites colonies d’un Adianthum annuel, desséché en cette saison. Du côté exposé au soleil, il y a de nombreuses touffes d’un Aspidium en pleine végétation qui croît indifféremment entre les fentes des rochers ou sur la terre. Dans le lit même du ruisseau, se trouvent des masses énormes de radicelles formant des paquets de queues de renard, à travers lesquelles l’eau filtre goutte à goutte. Sur ces racines ainsi que sur les pierres s’observent quelques Mousses. Je remarque aussi quelques Hépatiques, des Algues vertes, des Diatomées rougeâtres ; dans les fentes se trouvent quelques gros arbres, notamment des n’tabas, des Ficus, des Papillonnacées grimpantes et surtout l’Abrus precatorius L. dont la spontanéité n’est pas douteuse au Soudan. A cette époque de l’année ses feuilles se dessèchent, les gousses mûres s’entr’ouvrent et laissent voir les graines d’un beau rouge vif avec leur petite cicatricule noire. D’autres graines assez analogues, mais à cicatricule blanche, proviennent d’une Papilionacée ligneuse appelée daro en Bambara[2].
Les racines mises à nu des diverses essences qui constituent la végétation de la cascade forment parfois des masses si épaisses que l’eau s’y perd et passe dessous. Sur le haut de la montagne du Soknafi, le terrain est caillouteux, très[29] ferrugineux. La roche de grès fin, tendre, a été décomposée, et il s’est formé en dessus une roche rouge plus ou moins caverneuse. C’est généralement un poudingue analogue, par son origine, au limon des plateaux, s’en allant aisément en rognons (variant de la grosseur d’une prune à la grosseur du poing) pendant la saison des pluies et jonchant toute la surface de ces cailloux. La végétation sur ce sol est à peu près nulle. On aperçoit de grandes surfaces dénudées ou des espaces occupés par de petites Graminées tout à fait desséchées. Dans les rochers on trouve la grande Euphorbe cactiforme, très rameuse, atteignant jusqu’à 3 mètres de haut, ainsi qu’un Tephrosia à folioles d’un blanc argenté en dessous, à tige ligneuse à la base. Le plateau est couvert de blocs ferrugineux épais.
Dans la partie la plus escarpée du roc, une calebasse est remplie de petits cailloux roulés, arrachés au poudingue par le ruissellement ; ce sont de petites pierres formées de minerai de fer (limonite) presque pur, avec lequel les indigènes chargent parfois leurs fusils. Tout indigène qui se rend à la ville par le sentier au bord duquel est placée la calebasse doit y déposer lui-même son petit caillou, s’il veut éviter les mauvais sorts. Les musulmans eux-mêmes se conforment à ces usages fétichistes.
Ce champ se trouve à 1.500 mètres de Bammako, dans la vallée très fertile du Niger.
On creuse le sol pour en retirer une argile blanc-grisâtre qui, desséchée au soleil, sert à faire des briques non cuites. Cette couche est ordinairement couverte d’une épaisseur de terre végétale de un mètre. Ce terrain, situé entre les fours à chaux et le Niger, est parsemé de petits canaux, pleins d’eau en toute saison, qui drainent l’humidité et tiennent le sol très frais. Toutes les excavations faites pour avoir des fontaines ou pour se procurer de la terre à brique sont aussitôt remplies d’eau. C’est là que MM. Gilium et Pillet comptent demander[30] une concession de 40 hectares et où ils ont déjà fait des essais de semis de blé.
Fig. 3. — Nègres apportant du caoutchouc sur le marché de Siguiri (Soudan).
La culture du blé est excessivement intéressante. C’est le point le plus méridional du Soudan où cette culture ait réussi ; mais elle est très coûteuse par suite des soins qu’elle réclame. L’ensemble reviendra à plus de 500 francs, soit un peu plus de 0 fr. 50 le litre. Le terrain était déjà cultivé en blé de[31] temps immémorial par un indigène qui suspendit la culture à l’arrivée des bandes d’El-Hadj-Omar, par suite du refoulement des Maures qui n’étaient plus à Bammako pour consommer le blé. M. Gilium a repris cette culture cette année même. Le blé ensemencé est le blé de Tombouctou.
Les essais faits par M. Gilium avec les blés d’Espagne et d’Algérie n’ont pas eu de succès. Le meilleur blé a été semé en octobre. Les semis les plus tardifs ont mal réussi. Quelques pieds commencent à avoir des épis et des chaumes jaunes, mais non encore mûrs. Ces chaumes ont une hauteur de 0 m. 80 à 1 mètre. Je n’ai vu sur ce blé ni parasite, ni rouille, ni Ustilaginée, ni ergot. Certains épis sont seulement un peu enroulés sur eux-mêmes et paraissent avortés. Ils se sont mal épanouis au sortir de la gaine. Dans les épis presque mûrs, les grains sont petits et paraissent fort légers. Une planche a été repiquée ; elle est bien plus vigoureuse et offre un plus grand nombre de chaumes par souche. J’ai compté des touffes qui avaient de 15 à 25 chaumes à raison de 7 à 8 paires de groupes d’épillets par épi et 3 grains par groupe d’épillets, soit 60 grains par épi. Cette quantité est tout à fait exceptionnelle, car les épis à 15 et 20 grains sont les plus nombreux. De même, dans les carrés qui n’ont pas été replantés, les touffes sont très fournies sur les bords des carrés ou des allées, tandis qu’à l’intérieur il n’y a ordinairement que de 1 à 3 chaumes par pied. Les touffes repiquées sont un peu plus avancées comme maturité. Elles sont distantes de 0 m. 15 à 0 m. 20 ; les feuilles sont encore très vigoureuses. Ces blés sont arrosés deux fois par jour. Le sol lui-même est très humide. M. Gilium a fait creuser des rigoles pour faire écouler l’eau. L’indigène qui soigne ce blé et qui le cultivait avant l’arrivée de M. Gilium, prétendait qu’en drainant ainsi, on empêcherait le blé de pousser. Il se trompait, car là où les pieds sont au fond des rigoles, ils ont des souches bien plus fournies. C’est probablement l’excès d’humidité qui est cause de ce beau développement. M. Gilium a fait aussi des essais de blé de graines d’Algérie et d’Espagne. Ils n’ont pas réussi. Il est vrai que les ensemencements avaient été faits tard. Les[32] souches se sont bien développées ; les chaumes sont nombreux et les feuilles abondantes, mais ils ne sont pas montés, et les feuilles sont plutôt retombantes.
Les autres cultures de M. Gilium sont prospères. Je remarque des petits pois et des haricots nains chargés de gousses. Il est à noter que tous les légumes de France cultivés au Soudan ont une taille bien plus petite que dans les pays tempérés. Cela tiendrait-il à la sécheresse qu’ils endurent au milieu du jour ? On les arrose généralement matin et soir dans les jardins des postes, mais l’arrosage, pratiqué après 8 heures du matin, aurait pour résultat de brûler les feuilles et pourrait même tuer en quelques jours de jeunes semis, tant est grande l’évaporation. Les choux, les laitues, les asperges de France sont semés en ce moment. L’asperge indigène ne vaudrait rien. Les laitues et les chicorées montent très vite. Les choux-fleurs réussissent à condition qu’on les couvre avec des feuilles dès qu’ils commencent à se développer. Les melons réussissent également, mais il faut les envelopper avant leur maturité. Cette précaution leur permet de mieux mûrir et empêche un ver de s’y mettre.
Une cressonnière est établie sur le bord du ruisseau. Le cresson se présente toujours sous la forme à petites feuilles de France (var. microphylla). Il réussit admirablement à condition qu’il y ait toujours de l’eau copieusement. En plusieurs points de la ligne des convois, on utilise les voitures Lefèvre hors de service pour faire des cressonnières en les remplissant de terreau et en y versant deux ou trois seaux d’eau chaque matin. Au bord du fleuve on exploite les coquilles d’une huître d’eau douce, du genre Etheria, pour la fabrication de la chaux.
Parmi les plantes que je remarque au bord du Niger se trouve le Polygonum amphybium L.
24 janvier. — Nous nous arrêtons sur un immense banc de sable large de 1.500 mètres environ. A l’opposé du rivage[33] se trouvent des mares et un marigot que l’on peut contourner. Le village de Langana est à 7 kilomètres. Le chef envoie du dolo, boisson fermentée faite avec le mil, de couleur blond blanchâtre ; elle a le goût du poiré fermenté avec une arrière-saveur désagréable de mil. Au bord du fleuve, il n’y a généralement aucune végétation sur les bancs de sable mobile et fin. Les vagues y dessinent des ondulations et de petits moutonnements comme sur les bords de la mer. Çà et là, à sa surface, se trouve une sauterelle grise, de couleur identique au sable.
Il y a seulement quelques traces de végétation au bord du marigot et des mares, des herbes très courtes formant de fins tapis verts (G. miliaeum Raddi = G. gracillimum Perr.). Sur les bancs de sable, je récolte un minuscule Gnaphalium à tiges blanches cotonneuses, hautes de 1 à 5 centimètres, à fleurs d’un blanc jaunâtre, il est mêlé de petits Cyperus formant des touffes de 3 à 4 centimètres de largeur. Sur le bord du marigot se trouvent quelques touffes de saules (Salix Safsaf Forsk.) et la Papilionacée à très longues gousses, à fleurs assez grandes, pendantes, jaunes intérieurement, maculées de brun extérieurement. Des bosquets épais bordent les deux rives du fleuve, là où les sables ne s’avancent pas au loin dans les terres. Au point où nous nous arrêtons, la laissée de sable est très étroite, l’eau vient à quelques mètres seulement des bords escarpés, boisés et vaseux. Je rencontre des Saules et des Légumineuses. Les grands bosquets s’étendant à l’intérieur des terres ont disparu et sont remplacés par de vastes savanes de Graminées sèches appartenant surtout au genre Andropogon. Les buissons n’apparaissent que de très loin en très loin et sont constitués surtout par des Nauclea inermis Baill. Quelques arbres en fleurs se trouvent sur les talus escarpés. Dans une petite crique, je remarque un entassement de gros blocs de rochers. Ils sont creusés de cuvettes, en partie découvertes. Au large, à côté du Niger, se trouvent des tourbillons et des fosses creusées par l’action du fleuve ainsi que des bancs d’Etheria dont les coquilles sont toutes vides.
25 janvier. — Sur les bords du fleuve, et parfois au milieu, se trouvent de larges bancs de sable ; au delà un cordon de bois épais formant galerie, puis la brousse. Nous passons au confluent du Sankarani. A cet endroit, le fleuve est assez profond. Ses bords et ceux de la rivière sont très boisés. De grandes touffes de saules trempent leurs rameaux dans l’eau.
Le village des Somonos de Kangaba est situé sur un petit monticule au bord du fleuve. Sur la rive, nous trouvons en train de sécher des paquets d’une espèce d’Hibiscus connue des indigènes sous le nom de da (bambaras et malinkès). C’est le chanvre d’Afrique (Hibiscus cannabinus L.) spontané en Sénégambie. Il est cultivé comme textile par les indigènes et atteint de 1 mètre à 1 m. 50 de hauteur. On lie les tiges en paquets gros comme deux fois le bras et on les fait rouir dans le Niger, puis sécher au soleil. Lorsque les feuilles sont tombées, les fruits avec leurs graines mûres adhèrent encore à la tige. On décortique ensuite la plante à la main, sans briser la partie ligneuse de la tige, utilisée comme combustible. Dans le village il y a deux beaux pieds de banan (Eriodendron anfractuosum D. C.) ayant perdu à peu près toutes leurs feuilles. Ils laissent pendre leurs fruits analogues à ceux des Bombax. Derrière les maisons se trouvent quelques carrés d’une plante potagère cultivée par les femmes indigènes. Elle vient d’être semée. Cette plante appelée boron (malinké) est mangée en couscous par les indigènes. C’est une espèce d’Amarante, vraisemblablement une variété de l’Amaranthus caudatus L. A la sortie du village, nous traversons un petit marigot presque desséché, puis à un quart d’heure de là, des champs de mil récolté.
Le village malinké de Kangaba est à 2 ou 3 kilomètres du village des Somonos. Il est précédé d’une dépression marécageuse, utilisée chaque année, pour la culture du riz. Ce riz est récolté, mais la base des chaumes reste encore debout.[35] Kangaba est un village ruiné, autrefois très important. Il existe encore un vaste carré entouré de murs de la tata, où toutes les cases sont démolies. J’aperçois quatre dattiers. Ce sont les premiers que je rencontre au Soudan. Les régimes ne font que commencer à se développer. Il y a, en outre, autour du village quelques petits Baobabs mutilés presque réduits à l’axe formé par le tronc. Chaque année on coupe les jeunes rameaux feuillés pour les manger dans le couscous et la plante se développe avec peine. Le tabac est très beau. Il appartient à l’espèce Nicotiana rustica L. Les pieds sont hauts de 0 m. 80 à 1 mètre. Ceux qui sont cultivés à l’ombre des arbres sont beaucoup plus robustes.
Le chef du village est de grande taille et couvert de bijoux ; boucles d’oreilles en or, énormes colliers au cou, aux bras, aux pieds et dans les cheveux. Son frère et ses fils viennent nous saluer. Ce sont de forts beaux types aux traits très réguliers, aux yeux vifs, au teint noir bronzé. C’est, paraît-il, le type malinké très pur.
16 février. — De Kouroussa à Koundian, la brousse est épaisse. Quelques kobis (Carapa Touloucouna Guill. et Perr.) se trouvent au bord du marigot au delà du village de Moussaïa. Le Karité est absent ou très rare. Une Légumineuse à fleur jaune odorante est très abondante. Je remarque de jolis Ipomaea à corolles jaunes et d’autres espèces à fleurs roses et pourpres. Les lianes sont assez communes, mais le goïn (liane à caoutchouc) est plus rare que précédemment. Il y en a de gros troncs au bord de la route qui présentent des incisions. Un arbuste à fruit jaune comme l’orange est assez commun : c’est le Strychnos innocua Delile. Le bouré comestible est en fleurs et couvert de jeunes feuilles complètement épanouies. Il semble identique au Gardenia Thunbergia L. fils, ou voisin de cette espèce. D’autres individus sont entièrement dépourvus de feuilles et possèdent leurs petits fruits jaune pâle mûrs.
Le grand bouré est dépourvu de feuilles ; ses fruits tombent.[36] C’est une espèce très voisine de la précédente, mais bien différente, à peine de la grosseur d’une poire, à mésocarpe ligneux non comestible, mais servant à fabriquer des cendres dont la lessive est employée pour la fabrication du savon indigène.
On traverse un marigot asséché avec des bambous et de nombreux palmiers. Je remarque au bord la Mélastomacée à grandes fleurs pourpres de Sicoro, une petite Papilionacée à fleurs roses et près du sentier une Labiée à fleurs blanches inodores. Le fond asséché du marigot est nu et couvert de terre floconneuse rougeâtre. J’aperçois des n’tabas, des sômons, communs dans la brousse et un Bassia. A l’entrée du village se trouvent de nombreux exemplaires de la Bignoniacée de Kouroussa, en pleine floraison. A 100 mètres du village, le griot avec un balafon, accompagné de deux acolytes portant également cet instrument, donnent un grand tamtam à mon arrivée, accompagnés des moussos (femmes) et bilacoros tous munis d’instruments de musique. Je suis bien accueilli par le chef du village. Koundian est un petit village qui paraît assez pauvre. J’y remarque des plants de bananiers, des papayers, quelques baobabs, des jardins plantés de diabas (échalottes). Au milieu se développent les pousses d’un Canna qui est commun alentour. Un Baobab relativement jeune est décortiqué à la base du tronc sur une longueur d’un mètre ; les fibres sont jetées au pied. On les laisse ainsi sécher quelque temps avant de les utiliser pour faire des cordages. Sur la partie décortiquée suinte une sorte de mucilage blanchâtre, gluant, ayant l’aspect de la résine, mais inodore.
20 février. — C’est un grand village ruiné par le siège des Français. Il occupe encore une dizaine d’hectares d’étendue, mais les cases sont éloignées et dispersées. On trouve des cultures autour du village, des manguiers, des papayers en grand nombre, des orangers, des citronniers, des dattiers. Pour y venir, on traverse d’abord un petit marigot au sortir de[37] Diendenia ; un peu plus loin, on passe la rivière Bagué presque à sec. Sur les bords, les femmes cultivent des oignons et du tabac. Les jeunes semis sont arrosés fréquemment. Je traverse Morigueya où je rencontre quelques lianes goïn (Landolphia Heudelotii D. C.). Les papayers sont nombreux dans le village.
23 février. — Le pays est toujours fort boisé ; on traverse à diverses reprises des bois de sô et de sanan. Les colocolo sont très communs partout sous forme de petits buissons à feuillage rougeâtre. J’ai aperçu aussi des sômons. Partout la brousse est en pleine végétation. De toutes parts, des pousses sortent du sol et épanouissent leurs jeunes feuilles puis leurs fleurs.
A quoi attribuer ce renouveau qui paraît avoir commencé vers le 1er janvier ? La température et le climat ne peuvent l’expliquer. Le sol est sec à plusieurs pieds de profondeur. Les nuits sont, il est vrai, un peu plus fraîches dans les vallées ; la rosée, le matin, est abondante, surtout sur les Graminées.
Les feuilles sensibles sont très nombreuses dans la brousse, surtout à cette époque de l’année, alors qu’elles sont jeunes ; la nuit surtout, la plupart des Légumineuses laissent pendre leurs folioles et dès le soir, ces feuilles endormies donnent au port des arbres et à l’aspect du paysage, une allure bien différente de celle qu’il aura pendant la journée, au grand soleil.
Les plantes qui fleurissent maintenant, en général, ont des feuilles développées avant les fleurs. Cependant on trouve fréquemment, pour la même espèce, des arbres en feuilles (de l’année précédente) sans fleurs, des arbres dépouillés de feuilles mais fleuris, enfin des arbres couverts de fleurs et de jeunes feuilles. Après une heure de marche environ, nous arrivons dans une région où se trouvent des cases complètement détruites. La brousse a déjà envahi tout l’emplacement. C’est, paraît-il, un village détruit par Samory. Je trouve à côté quelques exemplaires de tingué en fleurs et fruits. Cet arbuste[38] est le Cordia Myxa L. non spontané, mais naturalisé aux alentours des villages de la boucle du Niger. Il n’est pas rare de rencontrer de jeunes baobabs dans la brousse, aux points où se trouvent des restes de cases.
A la sortie du village de Kankan et dans tous les alentours, quelques beaux banans sont en train d’ouvrir leurs capsules pleines d’une bourre moins soyeuse que celle du boumou (Bombax Buonopozense Beauv.).
La région entourant Kankan constitue une plaine assez vaste limitée d’un côté par le Milo qui, sur l’autre rive, est bordé de hauteurs. Cette plaine de Kankan est fort nue à cette époque de l’année. Il y a très peu d’arbres dans la brousse. De loin en loin on aperçoit la grande Euphorbe cactiforme formant des touffes impénétrables. Je rencontre pour la première fois, en fleurs, un petit Acacia à tiges cendrées, à fleurs blanches, très odorantes.
Quelques marigots en terrain plat (plutôt des mares) sont près du sentier. Les bords en sont envahis par un Jussieua avec ses racines blanc d’ivoire, faisant saillie hors de l’eau, à pointe tournée vers le haut.
A 1 kilomètre à peine de Kerfamouria, on traverse un marigot dont les bords sont occupés par plusieurs arbres intéressants en fleurs. Le village de Kerfamouria est assez important, tous les habitants sont musulmans. La mosquée, pittoresque, est surmontée de chapiteaux emboités. Ce sont simplement des termitières construites sur les plateaux ferrugineux par le Termes mordax (d’après Schweinfurth) et qui forment ici des motifs de décoration très remarquables. Le village est environné, de toutes parts, par la grande Euphorbe cactiforme qui sert même à faire des clôtures.
A l’intérieur du village, je remarque de beaux orangers chargés de fruits, des papayers, quelques bananiers, de jeunes pieds de sounsoun (Spondias dubia Guil. et Perr.). Entre Kerfamouria et Foucé, le lougan est assez étendu et contient des cultures de mil, de manioc et de coton.
20 mars. — Les orangers sont ici de haute taille, formant de véritables arbres de 10 mètres de haut. Les fruits sont déjà enlevés. Le sounsoun n’est pas encore en fleurs. Le village est assez important. De Foucé à Diangana on marche dans la brousse ; le terrain est uniforme. Les ntés sont très abondants ; les fruits pendent en longues grappes ; quelques-uns commencent à mûrir. Ils sont de la grosseur et de la couleur d’une grosse prune reine-claude. A côté se trouvent des sés encore en fleurs. De Kankan à Diangana, le saba est commun. La liane est en pleine végétation ; certains rameaux sont en fleurs, d’autres sont chargés de fruits en train de mûrir. Tous ont revêtu leurs jeunes feuilles.
J’observe sur la route un Ficus dont les feuilles sont tombées. Il est surmonté d’un autre Ficus de la même espèce, déjà grand, qui s’est développé sur le tronc du premier. Il est en pleine végétation, couvert de feuilles et de figues. Ses racines descendent en faisceaux le long du tronc du gros Ficus et l’emboîtent. La liane goïn est assez commune ; les arbustes sont couverts d’incisions ; les fruits vont bientôt mûrir. Le chef du village de Diangana nous fait un bon accueil. Les habitants sont tous musulmans. J’observe dans le village des papayers, des dattiers et quelques orangers.
21 mars. — De Diangana à Guirila, la route est monotone. On trouve une ou deux montées ferrugineuses assez raides ; les pierres sont couvertes de mousses. A Diangana, les orangers sont nombreux et portent des fruits. Je remarque aussi des dattiers et des pommiers d’acajou (Anacardium occidentale Gærtn.). A l’entrée et à la sortie du village, j’aperçois des trophées de cornes de bœufs et d’antilopes et sur le trophée de sortie, une tête énorme de caïman. En sortant du village, nous passons le Milo, presque à sec. Sur les bords on cultive[40] du diéfa diaba (Tephrosia Vogelii Hook.). Sur une longueur de 6 à 8 kilomètres, on parcourt une région, envahie par la brousse, et couverte de plateaux ferrugineux où le goïn est assez commun. Je remarque aussi le colocolo en fleurs, assez commun, une Ombellifère, une Euphorbiacée. On rencontre un village de cultures et plusieurs autres entièrement détruits et abandonnés. Tous les villages détruits par Samory se retrouvent, dans la brousse, marqués par les baobabs qui croissent sur l’emplacement abandonné. A notre arrivée au village de Koba, nous trouvons les notables qui nous attendent sur le chemin. Koba est encore un village presque ruiné qui paraît avoir eu autrefois une importance assez grande si on en juge par l’emplacement des cases détruites. On y cultive le mil, le maïs. Le diefa-diaba est très commun ; le coton n’est pas rare.
J’aperçois des plantes de jeunes orangers, quelques bananiers, des papayers et des pommiers d’acajou non encore fleuris.
24 mars. — La route que nous suivons au départ de Komana n’est pas très pittoresque. On traverse un marigot à 1 kilomètre environ de Komana.
La liane goïn est assez abondante. Les chercheurs de caoutchouc, en beaucoup d’endroits, ont fait tomber les lianes des arbres qui leur servent de support. L’extrémité en est ordinairement morte, desséchée. Sur chaque segment compris entre deux entailles, un bourgeon dressé donnant un jeune rameau vigoureux s’est développé.
Le couroumalé (Landolphia amœna Hua) est assez commun.
Les villages de Maréna et de Marenakoro sont à une distance de 300 mètres l’un de l’autre. A Marena je trouve un Kolatier assez vigoureux, sans fruits. Au pied se trouve un carré d’ananas actuellement en fleurs.
Pour arriver au prochain village, il faut traverser un marigot, très profondément encaissé, bordé d’une épaisse verdure.[41] Ce passage s’effectue sur un pont de branches, suspendues dans les lianes, assujetties tant bien que mal avec des rubans d’écorces. Le village de Marenakoro est pauvre. J’y goûte, pour la première fois au Soudan, d’exquis hydromel (ledolo). On le fabrique de la façon suivante : dans un canari on verse du miel resté presque toujours mélangé à la cire. On y ajoute deux cinquièmes d’eau environ. On chauffe et on laisse fermenter pendant trois jours. La fermentation se fait à gros bouillons avec une écume abondante.
Maréna, d’après les indigènes, appartiendrait déjà au Ouassoulou. Le village est entouré d’un lougan assez vaste où le cotonnier est très abondant. On y trouve aussi, en grande quantité, le fafetone (Calotropis procera Ait.) qui me paraît avoir été introduit là, parce qu’on ne le rencontre que dans le lougan autour des villages. A 8 kilomètres de Maréna, on traverse un marigot étroit, à sec, mais bordé d’un large ruban de verdure. De ce point jusqu’à Morodiana, le sentier longe une clairière herbeuse, marécageuse, qui doit être fréquentée par les éléphants. Elle répand actuellement une odeur infecte due à l’assèchement survenu après les pluies d’il y a quinze jours.
Nous arrivons à l’emplacement de Morodiana dont il ne reste plus que quelques pans de cases. La brousse a déjà envahi cet emplacement où j’ai récolté une jolie Orchidée à bulbe (Lissochilus ?). Morodiana est entouré de puits creusés dans une sorte de gravier rougeâtre, finement caillouteux, ressemblant aux graviers des plateaux ferrugineux mais en différant par des éléments également rougeâtres, roulés plus fins et associés à de petits morceaux anguleux de quartz blanc laiteux. C’est dans ce terrain qu’on rencontre des paillettes d’or. Il existe aussi, parmi ce gravier, des morceaux de roche compacte, noire, analogue aux schistes, et de la grosseur du poing. Cette dépression représente donc une cuvette d’alluvions arrachés aux massifs environnants. Au delà du village, se trouvent de profondes tranchées, remplies d’eau et de vase où croissent des plantes aquatiques (Nymphæa caerulea Savign.-faux irafua). Ces tranchées qui communiquent avec la dépression herbeuse signalée plus haut, ont évidemment été creusées autrefois pour la recherche de l’or.
[42]Le chef du village de Faralako m’apprend que l’on connaissait l’or dans tout le pays avoisinant avant le passage de Samory. Depuis on n’en recueille plus. Le pays est presque désert, les cultures sont abandonnées. C’est à peine si les quelques survivants peuvent faire venir le mil nécessaire à leur subsistance. Le lougan entourant le village est grand. On y trouve : le manioc, le cotonnier et quelques jeunes papayers.
24 mars. — Ce village est complètement détruit mais il a eu autrefois une assez grande importance. Il était entouré d’une tata dont les pans subsistent. Il y a environ une dizaine de cases habitées. Autrefois il y en a eu deux cents. Rien ne peut donner une impression plus triste que la vie de tous ces villages aujourd’hui anéantis. Ils se succèdent sans arrêts depuis plusieurs jours, et l’emplacement de plusieurs est impossible à retrouver, la brousse ayant recouvert les derniers vestiges des cases.
A une demi-heure de là, on traverse la rivière Sankarani appelée par les indigènes Yorobaradan. Elle est presque aussi large et profonde que le Milo et encombrée de bancs de sable dans lesquels on a fraîchement creusé des excavations qui paraissent avoir été faites pour chercher de l’or. Le fleuve est poissonneux. Il est bordé de cultures de diefa-diaba et de l’arbre à fleurs jaunes des bords du Niger (Pterocarpus esculentus Schum. et Th.). Il faut une heure pour se rendre de Sankarani à Falama.
Je rencontre au bord du sentier les restes saignants d’une antilope, reliefs certains d’un repas de fauve, probablement d’une panthère, animal très commun dans le pays. Le village de Falama a été détruit par les sofas de Samory. Le chef actuel et son fils sont atteints d’une sorte de lèpre rongeante. Le corps et les membres sont couverts de plaies ou de cicatrices. Les mains sont réduites à des moignons. Les premières articulations des doigts ont disparu. Ils viennent me demander du cognac et de l’absinthe persuadés que l’alcool les guérira.
[43]La récolte du mil a été anéantie par les sauterelles. Les épis sont secs et vides ; les chaumes desséchés sont restés dans les lougans. Comme un fléau ne marche jamais sans l’autre, les rats sont extrêmement abondants. Il y en a des légions qui viennent sous ma table dehors, pendant le dîner, pour ramasser les miettes de pain. Le fafetone existe dans les lougans. Il est appelé tintogola. Les habitants mettent du latex de tintogola dans les trous où ils sèment chaque graine d’arachide pour que la plante vienne mieux (?). J’ai vu dans le village un pied de ricin jeune et un pied de Solanum à épines et grosses baies jaunes. La liane goïn est assez commune autour du village ; le chef a des boules de caoutchouc dans sa case. Il se plaint des gens de Kankan et de Kouroussa qui viennent ramasser cette substance jusqu’aux alentours des lougans.
25 mars. — Nous partons de Faralatro à une heure du matin. Pendant tout le trajet de nuit, des bandes de perdrix partent des bords du sentier. Parfois un gros oiseau de proie s’échappe avec un grand bruit d’ailes. Avant le lever du soleil, des oiseaux trompettes (Balearica pavonina) se font entendre. A 3 kilomètres de Faralatro, on traverse une région couverte de puits destinés à la recherche de l’or. On retrouve des puits semblables avant d’arriver à Toukoro.
Nous traversons Gonko dont il ne reste plus guère trace. Vers 5 heures et demie nous rencontrons de nombreuses et pittoresques montées riches en goïn. Plus loin, on traverse un marigot assez important, rempli d’eau claire, tout bordé de grands cosos (Berlinia) dont les belles grappes de fleurs blanches poudrent agréablement la végétation verdoyante des bords du marigot. Le coso (Berlinia acuminata Soland.) est certainement l’un des plus beaux arbres de ces contrées quand il est en fleurs. Les grappes formées de grandes corolles blanches parfumées forment d’immenses traînées le long des ruisseaux. Plus tard elles laissent pendre de larges gousses aplaties, veloutées et couleur de vieux bronze. Le tronc laisse exsuder une espèce de gomme copal qui n’est pas exploitée.
[44]Une demi-heure après, j’arrive au village ruiné de Toukoro. Deux cases ont été récemment édifiées et sont habitées par une famille de pêcheurs. Une mousso (femme) est en train d’enfumer des poissons par un procédé fort primitif. Le gril haut de 50 centimètres a été établi avec quatre piquets fourchus sur lesquels sont disposées des baguettes de nété formant toit. Là-dessus sont placés les poissons ouverts et vidés. On fait du feu au-dessous. Les cases sont entourées de cotonniers et de cultures de mil. A la sortie du village, on traverse un marigot boueux rempli de Canna, de joncs (Maya des Bambaras) de Cladium et d’une infinité de Cypéracées. Il est bordé d’arbustes parmi lesquels, je remarque le niago (malinké), le diagou (bambara), le coguira.
Le tomboro (Zizyphus Jujuba Lamk.) reparaît mais ne semble exister que près de l’emplacement des anciens villages où il aurait été planté. Je rencontre plusieurs villages détruits et des lougans très vastes abandonnés tout le long du chemin. Les lianes goïn çà et là sont saignées. Le saba présente partout une deuxième période de végétation ; les rameaux inférieurs anciens sont chargés de fruits non encore mûrs ; les jeunes rameaux sont couverts de feuilles d’un beau vert tendre et chargés de fleurs. Les nétés sont très abondants ; ce sont avec les manans (Lophira alata Banks.), les ntabas (Cola cordifolia Benn.), les sanans (Daniella thurifera Benn.), les arbres dominants de la région.
Le Cassytha guineensis Schum. et Thönn., rencontré déjà aux environs de Bammako et de Kouroussa, est commun ici et couvre la plupart des buissons de ses tiges fauves, filamenteuses.
Les singans sont toujours en fleurs. Leur floraison dure fort longtemps, car déjà en décembre ils s’épanouissaient sur la ligne des convois. La maturité des fruits de manans est complète ; ils tombent et quelques femmes en font provision afin d’utiliser la graisse pour la fabrication du savon indigène.
Une butte dénudée, cultivée, précède le village de Ouassana. Elle paraît servir à faire les cultures durant la saison hivernale. Un épais buisson de l’Euphorbe de Kankan existe sur cette butte.
[45]Ouassana est au fond d’une cuvette qui doit être très humide durant l’hivernage. J’ai remarqué dans le village des oignons, du boron et du n’goyo (Solanum Pierreanum Paill. et Bois). Les cotonniers sont cultivés dans la région. Nous partons pour Danéla ; il faut environ une heure et demie de marche pour s’y rendre. Sur le chemin, d’énormes baobabs dont les bourgeons commencent à s’épanouir, marquent l’emplacement d’anciens villages. Nous arrivons à Ouassana qui paraît avoir été très grand et qui, aujourd’hui, est réduit à une trentaine de cases dispersées dans une plaine vaste et nue, mais autrefois couverte de cases à en juger par l’étendue des restes de la tata. A côté de ma case, se trouve un grand kobo et tout près un palmier ban.
Les moussos, à cette époque de l’année, sont occupées à piler les fruits de manan (Lophira alata Banks), pour la fabrication de leur savon. Elles vont dans la brousse remplir de grandes calebasses de ces fruits ailés qu’elles cueillent sous les arbres d’où ils se détachent eux-mêmes, après avoir bruni ou roussi, signe de leur maturité. Ces fruits sont d’abord écossés par les femmes et les enfants ; l’enveloppe du fruit se brise facilement d’elle-même, sous la pression des doigts, comme les fruits d’arachides. L’amande blanche avec l’indication très nette de la petite plantule et de deux cotylédons est de la grosseur d’une amande de petite noisette et de la même forme. Ces amandes à amertume très prononcée seraient un poison d’après les indigènes. On les réunit dans un pilon à couscous où on les soumet à un premier écrasement. La poudre résultant de cette opération, qui présente encore des morceaux non écrasés de la grosseur d’un noyau de cerise est étendue sur des nattes au soleil, pour sécher. On écrase de nouveau la pulpe au pilon une deuxième, puis une troisième fois. La poudre impalpable qui en résulte est ensuite placée dans des canaris (marmites en terre) avec de l’eau qu’on porte à l’ébullition. Pendant ce temps, on remue constamment le mélange avec des feuilles de manan ou de pimpérimané fira, ce qui a pour effet d’amener la matière grasse à la surface. On n’a plus ensuite qu’à la recueillir. Cette graisse n’est pas bonne pour l’alimentation en raison de son amertume.
[46]Un chasseur de biches du village est rentré ce matin après avoir tué un coba (Antilope orcas). Cet animal est énorme ; il a été dépecé dans la brousse. Quatre individus portent chacun un quartier de l’animal, un cinquième porte la peau, le sixième porte la tête surmontée d’une paire de cornes arquées avec de nombreux anneaux en relief. Ces cornes ont environ 70 centimètres de longueur. J’en ai vu qui avaient plus d’un mètre de long.
Le dougoutigui m’offre un gigot ; le reste sera partagé entre les hommes du village et les porteurs.
Le chasseur me dit que les éléphants existent dans la brousse à trois jours du village. Ils ne viennent jamais dans les cultures. Il en a aperçu d’énormes. On n’ose pas les chasser dans le village. Les panthères sont aussi communes : elles ne viennent pas autour des habitations ; on ne les tire pas non plus.
Un dioula maure parti depuis un mois et demi de Siguiri, est de passage ici et il se dirige vers Odjenné. Il achète dans les villages (à l’aide de quatre porteurs) des boules de caoutchouc contre du sel de la Guinée, des kolas, de la toile, mais la plainte d’une femme m’a révélé qu’il trafiquait surtout des captifs et qu’il est venu en réalité, comme beaucoup de ses compatriotes, razzier les malheureux Bambaras que Samory traînait à sa suite et qui regagnent en ce moment leur village natal.
Près du village, je remarque un palmier ban en fruits. Le fond de la végétation du marais qui l’environne est formé par une Composée à feuilles charnues et à fleurs jaunes. J’ai remarqué aussi dans les parties les plus humides un Marsilea qui croît spécialement autour des trous remplis d’eau. Je rencontre de fortes touffes de Graminées formant des monticules analogues à ceux qui sont produits par Carex paniculata L. et paradoxa Benth. en France ; entre ces touffes, croît une plante à fleurs jaunes récoltée au bord des marigots dans la région des convois, ainsi que deux Labiées. On rencontre aussi une Cypéracée en fleurs analogue à Cladium Mariscus R. Br., deux Cyperus et tout un champ de Marantacées. Il existe, en outre,[47] une mare contenant des Nymphæa, ainsi que le Pontederia natans Beauv. à fleurs bleues, etc.
Le coguira en fruits est très abondant au bord de cette mare. A la limite des marais, mais sur un terrain sec, inondé peut-être durant l’hivernage, croissent de nombreuses Cypéracées à fleurs groupées en capitules blancs.
Les jardins indigènes contiennent des oignons, l’aubergine indigène (Solanum Pierreanum Paill. et Bois), le dabé, les calebasses qui commencent à pousser.
Près des mares, à côté du village, une excavation laisse voir plusieurs blocs énormes se désagrégeant à la surface, de granit à feldspath, teinté en rouge par l’oxyde de fer, analogues à certains granits de Normandie. L’excavation a été probablement creusée pour la recherche de l’or.
Des traces de ces terres granitiques se retrouvent dans le pays, quoique la prédominance appartienne toujours au sol ferrugineux et à l’argile cendrée d’alluvion.
J’ai récolté dans le lougan une petite Euphorbiacée, le Croton lobatum L. qui croît en abondance dans tous les terrains cultivés et serait, au dire des indigènes de la Côte d’Ivoire, un poison très violent (d’après M. Thoiré).
28 mars. — Partis de grand matin, nous arrivons au petit jour au bord du fleuve. Il est assez étroit et peu profond, du moins au gué. Sur le sable, il y a des légions de petites fourmis noires, formant une colonne serrée très longue.
Les fruits du Ximenia, semblables à de petites prunes mirabelles, sont toujours très abondants et en pleine maturité. Ils ont une saveur aigrelette très agréable, et les indigènes en cueillent tout le long du chemin.
A environ 2 ou 3 kilomètres de Iantola, on arrive sur l’emplacement d’un très vaste village détruit ; la brousse a réenvahi le terrain où s’élevaient les cases.
A partir de là, sur un plateau ferrugineux étendu, la liane goïn et le saba sont communs et saignés depuis longtemps. J’ai vu aussi le Strophantus sarmentosus D. C. encore en fleurs.
[48]Le singan (Cassia Sieberiana D. C.) à fleurs jaunes est très commun aussi dans les bosquets ; les fleurs commencent à tomber.
Le village de Iantola est situé dans une vaste plaine de 150 à 200 hectares d’étendue, paraissant fertile. C’est l’emplacement d’un très grand village détruit. Des restes de cases et des baobabs dispersés dans cette plaine l’indiquent. Sur ce terrain croît le fafetone qui n’atteint ici que 0 m. 80 de hauteur et dont la tige est herbacée sur toute sa longueur. Il est actuellement chargé de fleurs et de fruits non mûrs.
Ce village de Iantola conviendrait bien pour une exploitation caoutchoutière par suite de l’étendue des terrains cultivables entourant le village.
Un marigot situé à 30 mètres à l’Est du village contient encore beaucoup d’eau claire et en retirant la vase, on pourrait en accumuler beaucoup. Il serait facile d’irriguer toute la plaine cultivable ; de plus le marigot est bordé d’une bande étroite de terres noires d’alluvions, très propre aux cultures potagères et aux semis. La plaine pourrait être élargie par des déboisements. Elle est entourée de coteaux ferrugineux élevés, très propres à la multiplication du goïn. Il en existe déjà beaucoup à travers la brousse.
Les bornes pourraient être faites par le fleuve et par le premier marigot qui coupe le chemin allant sur Dieguénikalana. Il ne faut pas perdre de vue que le Balé (grossi du Sankarani) est probablement navigable durant l’hivernage et va se jeter dans le Niger à mi-chemin de Siguiri et Bammako.
La flore des bords du marigot est riche, le Ceratopteris croît dans l’eau aux endroits ombragés. On cultive dans cette région le n’yaron (aubergine), les oignons, le boron.
29 mars. — A partir de Iantola, on suit le chemin de Siguiri à Bougouni, large et bien entretenu.
Dans la nuit, après 3 kilomètres de marche, je remarque des excavations sur les bords ; elles ont peut-être servi à faire[49] des recherches d’or. Au lever du jour nous passons un marigot : une bande de biches s’enfuit à notre approche.
Je traverse Bounonko, après une heure et demie de marche. C’est un grand village, détruit en partie. Il ne reste plus que quelques cases et des pans de tata.
En dehors du village, le dougoutiguia fait construire trois cases rapprochées, aidé des habitants des villages voisins, pour recevoir les Européens à leur passage (ordre du Commandant).
Diéguénikalana où je déjeune est un pauvre village très réduit. Au milieu de la plaine où travaille un tisserand, il y a seulement un gouin (Pterocarpus erinaceus Lamk.) actuellement en fruits, donnant très peu d’ombrage. Dans le lougan, je remarque des traces de cultures de coton, de diefa-diaba pour prendre les poissons, des indigotiers. J’observe aussi un pied de ricin.
J’aperçois, pour la première fois, en train de sécher sur une case, dans une petite calebasse tressée avec des roseaux, des feuilles de ouo ou de gouo, trouvé le lendemain à Ténétou en fleurs. Ce ouo (Zanthoxylum senegalense D. C.) après avoir été réduit en poudre est mis dans les sauces fabriquées par les moussos pour parfumer le couscous. J’observe aussi, et de même pour la première fois, des femmes en train d’écosser des fruits de diala (caïlcedrat) pour la fabrication du savon.
Dans la case de mon hôte, il y a, suspendues ou placées sous les traverses qui supportent le toit, diverses choses bizarres : plumes de différents oiseaux, notamment fragments de plumes d’autruches, coquilles d’anodontes du fleuve, une carapace de tortue de 10 à 15 centimètres de diamètre. Cette tortue appelée Sora se mange, paraît-il.
A deux heures, je me mets en route, pour Kéméné où j’arrive le soir à la tombée de la nuit.
Sur la route, j’ai récolté une petite Labiée assez odorante et j’ai vu en fleurs le Terminalia macroptera Guill. et Perr., arbre à grandes feuilles ovales et glaucescentes.
Je n’ai rien vu de notable à Kéméné, où je suis arrivé et[50] reparti de nuit. Le chef du village me dit que les hyènes et les panthères viennent fréquemment dans les environs, la nuit.
31 mars. — Au village de Faradialé, je revois le Strophantus de Banan. Nous rencontrons une caravane de dioulas, composée d’une vingtaine de porteurs, chargés de barres de sel.
Le village de Souloula est composé de plusieurs groupes de cases fort distants les uns des autres ; un seul, celui du chef, est entouré d’un reste de tata. Autour du puits est le jonc à rhizome odorant déjà signalé. J’ai remarqué des nétés mûrs. En dehors du village, tout près du tata, se trouve une Euphorbe cactiforme qui produit une douleur très vive, pouvant durer plusieurs heures, sur toutes les muqueuses mais surtout sur les yeux. L’arbuste est couvert d’incisions ; il est donc probablement utilisé par les indigènes.
Sur un petit coteau ferrugineux qui avoisine le village, croissent quelques touffes de goïn. Elles ont été saignées récemment pour la première fois.
Il y a seulement 10 kilomètres de Souloula à Bougouni. Le chemin est bordé de yoros, jolis arbustes de la famille des Polygalées (Securidaca longepedunculata Fres), à fleurs pourpres, rappelant l’arbre de Judée. J’ai rencontré aussi l’orchidée tuberculeuse, le sinia, et une très curieuse Aroïdée (Amorphophallus). Je remarque que les karités n’ont pas tous des fruits. Dans quelques-uns, les traces des fleurs persistent encore, avortées. Dans d’autres, il y a seulement quelques fruits çà et là bien que l’arbuste soit adulte. Enfin certains arbres sont chargés de fruits ; il en naît plusieurs à chaque inflorescence.
On aperçoit le poste de Bougouni à deux ou trois kilomètres de distance. Ce poste occupe une situation pittoresque. Il est bâti à l’extrémité d’une colline ferrugineuse qui après avoir décrit une courbe ouverte vers le Baoulé, encadrant le village, vient se terminer brusquement dans la plaine où[51] coule le fleuve. Le poste domine ainsi le terrain environnant d’une cinquantaine de mètres. Au pied, se trouvent le village des tirailleurs et le village de Liberté.
Du 1er au 4 avril. — Une grande route conduit du poste au village de Bougouni. Dans le village ou autour, je remarque quelques banans assez petits ainsi que le Tomboro (arbre à ver à soie, Zizyphus orthacantha). La goïn existe çà et là. Sur une longueur de 3 kilomètres, nous marchons dans la plaine entièrement remplie par de hautes Graminées sèches, ayant plus de 2 mètres de haut. Nous atteignons le Baoulé (fl. Rouge) au gué de passage du chemin des dioulas allant à Odienné. Une colline à rochers abrupts s’avance jusqu’à 50 mètres du fleuve. Le Baoulé contient des huîtres, des anodontes. Il présente des schistes (passant parfois aux grès) stratifiés à tranches verticales et dirigés à peu près suivant le fleuve. Ces rochers sont en partie submergés, les autres sont tout à fait secs. Les roches humides sont recouvertes par la plante aquatique dégradée déjà trouvée à Billy et à Bammako.
J’ai vu sur les bords du fleuve le Polygonum Balansæ Boiss. avec des troncs assez gros, toujours plus ou moins tortueux, le petit arbuste à fleurs rouges du lit du Niger et du Sénégal.
11 avril. — Nous partons de Ouré vers 6 heures et demie. Les karités et les nétés sont très nombreux sur la route. Le faux jujubier de Bomtyn est aussi commun depuis Bougouni.
Le mana paraît avoir presque disparu ; je n’en rencontre plus. Le saba en fleurs est abondant partout. J’ai vu quelques pieds de sofara dont les fleurs sont passées.
Peu après Faradé, nous traversons le Banifing sur un pont formé de branches d’arbres recouvertes de terre ; le tout est supporté par un échafaudage très compliqué. La rivière est actuellement réduite à un petit filet d’eau, qu’on peut par places[52] enjamber sans se mouiller les pieds. Il n’y a pas de plantes remarquables sur les rives du fleuve. Les caïmans sont très communs dans le Banifing.
A 8 heures et demie, nous passons à Zanabgo, village en partie détruit, encore important. J’y observe un ntaba encore en pleine floraison. Peu après, je rencontre quelques goïn chétifs, jeunes, saignés néanmoins récemment.
A 10 heures, nous arrivons à Zaniéla, village formé de quatre ou cinq groupes de cases, en parties détruits. On y élève des abeilles. J’y ai remarqué un beau pied de coton.
Les fafetones sont très communs dans le lougan autour du village, en fleurs et en fruits. Le tiga nin guenin est cultivé durant l’hivernage. Je n’ai vu qu’un seul papayer.
Il existe une pratique bizarre que j’ai vue ici pour la première fois. Quand un vieil indigène est mort, on badigeonne le côté droit de la porte de sa case en dessinant un caïman en relief, ou simplement sur deux bandes en relief, on applique du couscous de riz pilé. Cela donne l’aspect d’un badigeonnage au lait de chaux. On coupe ensuite un coq vivant en morceaux, et on en barbouille l’entrée de la case. On renouvelle le sacrifice du coq de temps en temps. Ces marques attestent que l’indigène qui habitait la case a été regretté.
12 avril. — Nous partons de Zaniéla à 4 heures, et nous arrivons à Farabakoro à 6 heures. Un doubalé très verdoyant croît sur la place du village. Le long de la route, nous observons un petit arbuste à fleurs blanches, commun partout, ainsi qu’un autre arbuste à fleurs jaunes. Les fruits de sanan sont mûrs et tombés. J’ai trouvé aussi pour la première fois, des fruits de sé mûrs.
Nous remarquons sur la route des traces fraîches d’éléphants.
Vers 8 heures et demie, nous arrivons à Bafaga. Près du village se trouve un beau nongo en fleurs, un énorme tomboro, quelque beaux palmiers cébi ; déjà quelques fruits sont tombés.
Dans le village, la case carrée du chef est vaste, ornée de[53] piliers externes en relief, qui se prolongent en clochetons. Au delà et tout près du village, on traverse un marigot presque à sec ; les puits creusés aux alentours sont encore remplis d’eau.
Le fond de la végétation de ce marigot est formé par des palmiers nté chargés de régimes. Un Ficus à feuilles larges, luisantes, nommé cotourou, se trouve dans cette région. Les Marsilea abondent dans toutes les flaques environnantes.
Les femmes cultivent à proximité du marigot des n’goys et des borons. Avant d’arriver à ce village, et au delà, on rencontre de nombreuses plaques de mica blanc assez grandes dans un sable grossier. Çà et là se trouvent des roches granitoïdes et porphyroïdes. J’ai vu quelques goïn.
13 avril. — Nous partons de Dialacoro à 4 heures, et nous longeons, de nuit, le bord d’une sorte de marigot tout bordé de bans. Vers 6 heures, on passe à côté d’un village détruit.
Les bans sont très communs le long du chemin de Bougouni à Sikasso. Le fruit en forme de prune gluante est commun dans les ruines. On revoit cet arbre dans le village de Koumantou qui paraît avoir eu une grande importance, mais qui est maintenant en partie détruit. Les fromagers et surtout les baobabs sont très communs tout autour.
Ce village a été composé de plusieurs groupes de cases, assez éloignées les uns des autres, et dont chacun est entouré d’une tata. Il y a un seul puits pour le village. L’eau, de couleur blanchâtre, est détestable. Une quinzaine de moussos se livrent aux travaux du ménage (lavage des calebasses), de la toilette (lavage du linge) tout autour ; l’eau qu’elles rejettent forme des flaques fétides autour du puits où elle s’écoule.
Nous arrivons à Tabacoro à 10 heures. Il y a deux villages, distants de 200 mètres l’un de l’autre. J’y remarque plusieurs beaux baobabs, des plants de sosa. Dans les bas-fonds marécageux, près des jardins, j’aperçois de beaux bosquets de ban avec une grande liliacée, des Vitis à tige ailée ; une Cypéracée à petites têtes blanches. Le kounocois existe dans ce massif en une quinzaine d’exemplaires paraissant spontanés.
[54]Le Fou. — Dans le pays, une partie des jeunes gens doivent faire le métier de fou ; ils amusent les habitants et les passants. Leur coiffure consiste en un chapeau surmonté de têtes d’oiseaux plus ou moins mutilées d’où pendent de tous côtés des morceaux d’os, ainsi que des queues de moutons, de chèvres, de singes. Ils sont vêtus d’une sorte de cotte-maille, formée d’un filet qui fut un hamac, et d’une culotte dont les deux jambes sont inégales. Des cornes, des plumes et des fruits divers, sont suspendus autour de lui. Il saute, gesticule et paraît beaucoup s’amuser de la gaieté des autres. Il porte autour du cou un sac immense destiné à mettre le mil qu’on lui donne et qui semble assurer sa nourriture. Il paraît qu’il cultive d’ailleurs un lougan.
Autour des villages de Tabacoro, il y a beaucoup de palmiers ; l’un est le ban, le plus commun, formant des massifs entiers ; l’autre est le cebi qui présente seulement des individus isolés dans le lougan autour du village.
14 avril. — Nous partons de Tabacoroi à 4 heures et passons à Bérétiéné de nuit. A Tréféra, je remarque deux banans, et aux environs, quelques goïn que l’on a commencé à saigner. De l’autre côté de Tréféra se trouve un puits pour la recherche de l’or. Le long de la route, j’aperçois des plateaux ferrugineux où on trouve de petites boules de fer, de quartz et des cristaux non arrondis de quartz. J’observe çà et là une sorte de granit en blocs isolés. L’Acacia de Bougouni est très commun dans cette région. J’ai revu aussi des karités, des nétés et des oros qui sont les arbres dominants de la région. Les fruits des Karités commencent à tomber.
Nous arrivons à Tiégougoba à 10 heures. Le village est situé sur une petite éminence. Les troupeaux ont été volés à diverses reprises par les bandes de Thiéba et de Bademba. Les cases sont construites de façons différentes et précédées d’une véranda. Une tornade très violente s’abat à 1 heure et il pleut abondamment.
[55]Nous passons le Bagoé. Les rives du fleuve sont bordées d’une haute végétation luxuriante, rappelant celle des bords du Niger. Des bancs de sable émergent. On y trouve des coquilles d’huîtres et d’anodontes. La rive de Bougouni est très verdoyante. Elle est occupée par une liane qui domine et enveloppe tout ; la rive de Sikasso est sans végétation comme les rives du Sénégal ; une autre partie est boisée. Au bord du sentier, il y a de nombreuses traces d’éléphants se croisant en tous sens et descendant vers le fleuve.
Depuis le départ de Bougouni, dans la plupart des villages que je traverse, les femmes sont parties dans la brousse à la récolte des fruits de Nété. Dès le matin, surtout après une tornade pendant laquelle il est tombé beaucoup d’eau, une femme se met généralement en route avec plusieurs calebasses ou porte-charges, accompagnée souvent de ses bilacoros de 5 à 10 ans, qui l’aident dans la récolte, et du mari qui ne porte rien que son fusil, son épée ou sa lance. Durant tout le temps que sa femme récoltera les fruits, il se reposera au pied de l’arbre et ne rapportera rien. Dans presque tous les villages que je traverse, il y a de vastes greniers à nété, sortes de petites cases rondes bâties sur pilotis. On y entasse les gousses jusqu’au haut et on les recouvre d’un toit en chaume. Ce nété (Parkia africana R. Br.) tient une grande place dans l’alimentation des indigènes qui le conservent d’une année à l’autre. Il peut se manger à l’état nature. Mes porteurs en mangent souvent une calebasse avant l’arrivée de leur couscous. Il entre dans la composition de presque toutes les sauces. On en fait aussi un couscous qui n’est pas désagréable, relevé avec quelques épices. On prépare aussi avec le nété une boisson sucrée qu’on pourrait essayer de faire fermenter[3].
A 3 kilomètres avant d’arriver à Doucolobougou, je traverse un marigot bordé d’une épaisse végétation rappelant celle des marigots du cercle de Kouroussa. On trouve également au bord : le kobi qui porte maintenant des fruits non mûrs, le[56] coso encore en fleurs et des bambous. Dans le lougan, les sés ont leurs feuilles recroquevillées par une galle spéciale. Ils sont (même les jeunes) couverts de touffes de Loranthacées. Ces sés ont fleuri plus tard que la plupart des autres que j’ai vus, car les fruits sont encore très jeunes et les corymbes fructifères présentent encore quantité de fleurs desséchées non tombées.
A 1 kilomètre avant d’arriver à Doucolobougou, il y a un petit mamelon ferrugineux couronné par des sés qui portent, dans la partie élevée de leurs branchages, des ruches à abeilles, en paille. Elles sont orientées du nord au sud. Le village de Doucolobougou est assez bien conservé. On n’y parle plus le mandé. La tata présente seulement quelques brèches obturées par des piquets. Il y a beaucoup de cases carrées. Chaque groupe de cases est entouré lui-même d’un mur en terre. Je reçois un excellent accueil dans ce village. On m’apporte du lait, un dolo, des œufs, un poulet et du couscous. Le dolo est encore chaud et non fait. On en boit dans tout le pays, seulement le lundi, qui paraît être partout chez les noirs, le jour férié de la semaine, qu’ils soient musulmans ou fétichistes. Durant la nuit, la tornade de la veille recommence ; la pluie fait rage.
18 avril. — Partis de Courala à 4 heures 1/2, nous sommes arrivés à Fantalié à 6 heures. Quelques beaux baobabs et quelques fromagers se trouvent autour du village. Près de la sortie, en allant vers Pédougou, je remarque de jolis bosquets boisés, parfumés par le Senséré, traversés par deux petits ruisseaux parallèles, profondément encaissés dans des causses ferrugineuses et formant des cascades. Le sol est très frais, plutôt marécageux. Des Graminées, imprégnées de rosée, couvrent le sol. De nombreux pieds de Sélaginelle poussent à côté. Des mousses croissent là où la terre est nue. Les ruisseaux sont bordés de grands arbres ou de touffes buissonneuses de coro, de cotourou, arbre à tronc grêle, élevé, présentant seulement à la cime un bouquet de très grandes feuilles comme le palmier.
ANCIENS ÉTATS DE SIKASSO. — RÉGION DE SINDOU. — TERRITOIRES DE LA HAUTE-VOLTA
Du 19 avril au 6 mai. — Sikasso est situé au fond d’une cuvette où coule un marigot qui partage en deux la ville dont le pourtour est de 9 kilomètres et demi. Recouverte de cases éventrées (dont les quatre cinquièmes étaient inhabitées), parcourue d’un labyrinthe de ruelles étroites encombrées d’immondices ou d’herbes sauvages, tel était l’aspect de la ville au mois de mai 1899, un an après l’occupation française.
La tata en certains points mesure 10 mètres d’épaisseur. Actuellement la population est de 7 à 8.000 habitants. Mais elle a été de 40.000 à 60.000 individus au moment de la prise de Sikasso. La plupart étaient des captifs razziés par Bademba : ils sont retournés à leurs villages après la prise de Sikasso par la colonne Audéoud. Il y eut environ 2.000 tués, soit le jour de l’assaut, soit durant les attaques précédentes. Des crânes nombreux jonchent encore le sol.
En mémoire des capitaines Loury et Gallet qui furent tués pendant l’attaque, deux grandes artères, ouvertes dans la ville à travers les cases, s’appellent avenue Loury et avenue Gallet. Le pays est parfaitement soumis aujourd’hui. Le vrai nom de Bademba était Balémé. Les environs de la ville sont entièrement déboisés sur un pourtour de 8 à 10 kilomètres et tout a été cultivé en lougan. Actuellement on commence à préparer[58] la terre en monticules pour la plantation du mil. Ces monticules se font à l’intérieur même de Sikasso sur l’emplacement des cases détruites.
Le marché a une importance plus grande que celui de Bammako. Comme produits curieux, je rencontre chez les détaillants : du gan ni fing, sorte de piment noir (Uvaria æthiopica Rich.) ; des n’ton petits tubercules de Cyperus esculentus L. ; du cori, os brûlé employé par les fileuses de coton ; du ségué, concrétion grisâtre obtenue par le lavage des cendres de néré (Parkia africana R. Br.), et contenant surtout de la potasse qui sert à faire le savon.
D’après les renseignements recueillis auprès des officiers de Sikasso, le citronnier à petits fruits existerait dans la brousse et y serait même commun en certains endroits : sur la route de Bammako, au sud de Sindou, dans le territoire de Kong, autour de Bouaké, etc. D’après un sous-officier de Bobo, on n’en voit guère qu’un individu tous les 30 kilomètres, dans la brousse, entre Bammako et Sikasso.
Jeudi 4 mai. — Excursion à un petit marigot avec cascade situé à 3 kilomètres, au sud-est du poste de Sikasso. La chute est de 2 mètres environ. L’eau est claire. Le terrain est formé de grès tendre facile à débiter en minces plaquettes micacées ; quelques grandes plaques plus dures et plus quartzeuses présentent des traces d’empreintes mécaniques (ripples marks) analogues à celles observées à Sikasso. Ces grès ont une stratification presque horizontale. Au-dessous de la chute, il y a une cuvette assez profonde, souvent habitée par des caïmans.
Les rives du marigot sont fraîches, environnées d’une étroite galerie. On y trouve de nombreux arbustes verts : bambous, ban (Raphia vinifera Beauv.) ; Pandanus en fruits ; liane goïne, dont quelques petits buissons existent au bord ; kobi, (Carapa Touloucouna). Au bord du marigot, sur la rive gauche, se produisent de petits suintements d’eau et sur le sol très marécageux, à végétation courte, on observe trois Utriculaires, un Drosera, une Selaginelle, des Algues vertes, de petites flaques à dépôts rouges ferrugineux (Diatomées). Le fond de la végétation de ce terrain marécageux est formé par des Cypéracées[60] nombreuses presque toutes en floraison ou en fructification et par quelques Graminées.
Dans le lit du marigot sur des pierres qui arrivent presque au niveau de l’eau, des plantes à fleurs blanches en grappes émergent au-dessus de l’eau ; quelques-unes seulement submergées, à tiges allongées, sont couchées dans le courant. Ces plantes existent aussi sur les parois mêmes de la chute. Quelques Algues vertes s’y trouvent ainsi que sur les pierres submergées. Une Nitelle croît au bord du ruisseau dans un endroit peu profond (15 centimètres) et où l’eau n’est pas courante.
Au milieu du marigot, avec une Scrophularinée aquatique à fleurs blanches, se trouve encore une plante à longues tiges allongées au fil de l’eau, aux points où le courant est rapide et ressemblent à des Myriophyllum.
| Mission A. Chevalier, 1899-1900. | Sénégal-Soudan. |
(Cliché de M. Hostelier.)
Fig. 4. — Bords d’un marigot de la zone guinéenne.
Samedi 6 mai. — Partis de Sikasso à 4 heures du soir, nous sommes arrivés à Serké à 8 heures et demie. De Sikasso à Serké, presque tous les terrains sont en lougans et l’on est en ce moment en train de les préparer pour la culture du mil. Une partie des ensemencements sont déjà faits autour de Sikasso. Les premières tornades annoncent aux noirs l’arrivée de l’époque des semailles. Dans les lougans, les terres sont déjà profondément ravinées par les pluies. C’est pour cette raison que l’on fait des buttes sur lesquelles on plante le mil et le coton.
Dans les anciens lougans abandonnés, on observe de grands Calotropis procera Ait. Ils atteignent la taille de ceux du Sénégal, ayant 2 à 3 mètres de hauteur ; le tronc, gros comme le bras, ligneux à la base, est protégé par un liège fendillé, épais, de couleur cendrée, recouvrant des fibres résistantes. A 2 ou 3 kilomètres de Sikasso, on traverse un marigot rempli d’une Characée, bordé de Pandanus Heudelotianus Balf. ; ces arbres, quand ils sont âgés, atteignent 5 à 6 mètres de hauteur, avec 3 ou 4 rameaux terminés par une couronne de feuilles ; le tronc en est blanchâtre et présente de nombreuses cicatrices[61] annulaires, laissées par la chute des feuilles ; il offre quelques épines à la base et est porté souvent par un groupe de racines adventives faisant saillie de 50 centimètres hors du sol ou de l’eau. Je revois cette Monocotylédone jusqu’à Pénia, puis encore en allant de Pénia à Sindou.
Vers 7 heures, j’arrive au bord d’un marigot très boisé d’où les animaux aquatiques font entendre un bruit assourdissant. Au-dessus, dans la feuillée, les cigales modulent leurs notes stridentes. Avant d’entrer au village de Serké, il faut traverser deux fois un marigot assez large bordé de grandes tables de grès. De nombreux arbres en fleurs y répandent un parfum agréable.
En traversant la brousse, je distingue pour la première fois un parfum analogue à l’encens qui serait produit (d’après les officiers de Sikasso) par les cendres d’un arbre qui serait le oro (Terminalia macroptera Guill et Perr.) d’après un boy. M. Laville, commerçant à Sikasso, a acheté plusieurs kilos d’encens. Il n’a pu en connaître la provenance. M. Krisberger m’a dit qu’il existait dans le nord de la boucle de Niger une résine, recueillie par les Touaregs, qui possède aussi le parfum de l’encens. Cet arbre du Nord est sans aucun doute le Commiphora africana Endl. qui n’existe pas dans le territoire de la Volta. C’est le Bdellium d’Afrique.
Dimanche 7 mai. — Nous partons de Serké à 6 heures. A une distance d’environ 3 ou 4 kilomètres, on longe un marigot bordé de grands arbres en fleurs, des coso (Berlinia) dans lesquels des bandes de singes prennent leurs ébats. Enfin, nous traversons un plateau sur lequel les lianes à caoutchouc sont assez communes.
A 1 kilomètre avant Mantira, il existe au bord de la route un groupe de quelques arbres dans lequel s’élèvent de hauts goïn, au tronc énorme, formant un buisson qui sert de bois sacré au village. La place est nettoyée, et quand je passe, on vient d’égorger un poulet, probablement pour éloigner les[62] maléfices que je pourrais apporter. Le sang et les plumes blanches sont placés sur un petit monticule au pied des lianes.
Pour arriver à Mantira, il faut traverser un beau marigot bordé de hauts banans donnant un ombrage épais. Dans tout le village se trouvent de grands arbres ; les finzans (Blighia sapida Kon.) sont en grande quantité. Il y a quelques gros baobabs. A côté de leur tronc et les enveloppant parfois presque entièrement, croissent des doubalés dont plusieurs atteignent déjà de puissantes dimensions.
Diassa n’est qu’un petit groupe de quelques cases de cultures. Je trouve à côté un pied de diagabéré (Colocasia antiquorum Schott). Un petit marigot passe là. Le superbe Kaempferia æthiopica Benth., à grandes fleurs violettes ou roses, est très commun dans la brousse et couvre d’un tapis de pourpre les sous-bois à claire-voies.
Nous croisons un troupeau de gazelles qui s’enfuient. Nous rencontrons aussi des femmes qui reviennent de la brousse avec des charges de fruits de Karité.
Lundi 8 mai. — Nous partons de Sfaraiso à 6 heures et demie. Le ciel est couvert ; il tombe quelques gouttes d’eau. A la sortie des lougans, dans un terrain sablonneux semé seulement de cailloux ferrugineux, il y a une grande quantité de lianes goïn. Des pieds âgés, gros et très élevés, n’ont pas encore été saignés. Leur densité est aussi grande que dans les régions les plus favorisées du Sankaran. J’ai revu la grande Monocotylédone à fleur de lys (Pancratium).
La belle Scitaminée aux larges périanthes d’un violet intense (Kaempferia æthiopica) est toujours commune. Depuis Sikasso, toujours dans les lieux ombragés, d’autres Monocotylédonés en fleurs croissent également. Le saba manque partout. Le long des marigots, le cobi n’est pas rare. Le ban est répandu autour des villages, il en existe de très nombreux noyaux. Le sé est très abondant.
Accumulés dans la brousse, souvent les fruits de cet arbre[63] sont en partie tombés et non recueillis. Les animaux ont mangé fréquemment la pulpe mince extérieure et les noix tapissent le sol comme des marrons sortis de leurs capsules.
Une partie des habitants d’Ouétiéra se sont enfuis à l’arrivée du convoi. Le chef vient pourtant me saluer. La chose la plus intéressante à noter est l’existence, en dehors de la tata, d’un village de forgerons très important. Il comprend quatre hauts-fourneaux à la partie supérieure desquels on accède par un escalier extérieur en terre. Il est approvisionné de tas de minerai de fer et de tas d’un charbon spécial servant à réduire le minerai de fer et à rougir le métal pour le travailler.
Tous les abords du village sont entourés de gros blocs de scories formés d’une agglomération de déchets et de charbon ; ils sont encore fort riches en fer.
Le village a la spécialité de fabrication des dabas et de véritables pelles semblables aux nôtres comme forme. J’assiste au travail de fabrication de ces pelles et de ces dabas. Dans une case, il existe un soufflet construit en terre sèche comme les cases, ayant environ 2 m. 50 de long. A sa partie supérieure est ménagée une ouverture circulaire, formée en partie par une peau d’âne bombée. Un enfant assis sur l’appareil presse alternativement sur la peau ; l’air s’échappe par une conduite qui aboutit à un foyer de charbon de bois allumé qu’un autre enfant active en projetant de temps en temps dessus, de l’eau maintenue dans une petite flaque en argile, comme font encore nos forgerons de campagne.
Chaque soufflet est logé dans une case spéciale ; il en existe deux où l’on travaille constamment. Le morceau de fer à forger étant rouge-blanc, on le retire avec des pinces en fer et on le porte rapidement sur une grosse enclume de même métal. Trois ouvriers, placés autour de cette enclume et tenant en main une grosse masse de fer cubique, frappent alternativement avec beaucoup d’adresse sur le fer rougi. L’objet est de nouveau porté au foyer tandis qu’on en apporte un autre du deuxième foyer. Les fers de l’enclume et des pilons ont pris un aspect brillant comme nos fers doux d’Europe.
Autour du village, on trouve quelques finzans et surtout de[64] beaux toungués (Cordia Myxa L.), ayant des proportions d’arbres. De Ouétiéra à Pénia, le goïn est bien moins commun. A mi-chemin, je rencontre un petit village de cultures où j’observe des patates cultivées.
Les cotonniers sont très chétifs et actuellement en fleurs. Les fleurs épanouies sont jaunes, les fleurs fermées sont rougeâtres. A l’entrée du village de Pénia, il existe un filon, aligné presque perpendiculairement au chemin (à 100 mètres du ruisseau) d’une roche éruptive, noirâtre, ayant l’aspect de diabase[4]. Dans le lougan entourant le village se trouvent quelques beaux arbres : finzans, baobabs, sanans.
Comme à Ouétiéra, les habitants de Pénia se sauvent à mon arrivée. Le chef m’apporte de l’eau d’un blanc laiteux, analogue au lait de chaux. C’est une boisson non fermentée faite avec du petit mil pilé et des piments. La case de l’un des chefs du village est remplie de gris-gris étranges. Les murs sont bariolés de figures bizarres, rouges et blanches : silhouettes de caïmans, d’oiseaux, carrelages à carrés bicolores, divisés suivant la diagonale. Un certain nombre de figurines sculptées en bois, représentant des hommes et des femmes, sont groupés dans cette case et environnés de mets variés qu’on leur apporte chaque semaine.
Mardi 9 mai. — Après avoir traversé, à 3 kilomètres de Pénia, un marigot au bord duquel croissent des fougères du genre Aspidium, on tombe dans une plaine marécageuse semblable à nos landes des climats tempérés. On y trouve des Drosera, le Lycopodium cernuum et un autre Lycopode à rhizome tubéreux, quelques Orchidées et quelques Commélynacées. Au sortir de Pénia, Morifin tue un serpent que j’ai rapporté dans le formol. Les Bambaras l’appellent Nalayoulou[65] sa morsure, d’après Morifin, fait du mal, mais n’occasionne pas la mort.
A 6 kilomètres de Pénia, j’observe une liane goïn qui a 1 m. 30 de circonférence à la base. Là, elle se divise en plusieurs troncs (10 environ), énormes eux-mêmes, décrivant de nombreuses circonvolutions. Pas plus que les autres lianes communes dans les environs, elle n’a été saignée.
Après Taranoro, on retrouve la lande à Drosera et à Lycopodium.
Nous arrivons à Kangala à 10 heures 1/2. Il y a ici plusieurs soukalas fort espacés et placés sur des mamelons. On aperçoit des lougans étendus, couverts de beaux arbres : baobabs, sanans, finzans, doubalés, nétés, sés, toros. Les habitants du village s’adonnent à l’agriculture. Tous les captifs sont occupés à préparer les terres. Des arachides, semées peu de temps avant notre passage, commencent à fleurir. On prépare les terres actuellement pour le mil. Il y a deux sortes d’instruments aratoires : la dababa en forme de pelle et la dabani en forme de pioche (houe à une dent de nos paysans).
Le pays est très pittoresque ; un joli marigot coule auprès du village au milieu de rochers de grès stratifiés horizontalement, et tombe de terrasse en terrasse. A 150 mètres avant d’arriver à ce village, on trouve sur la droite un petit ruisseau qui glisse de cascade en cascade vers la rivière. L’une de ces chutes a environ 2 m. 50 de haut. L’eau, dans sa chute, est pulvérisée en fines gouttelettes et forme un véritable brouillard épais. Le tout est profondément encaissé dans les rochers au bord desquels se trouvent des buissons de goïns, etc. Quelques mousses croissent sur les parois. De magnifiques buissons de Mussaenda elegans Schum. et Thönn. aux éclatantes corolles pourpres, et un petit jasmin aux fleurs blanches, bordent ce ruisseau.
10-12 mai. — Sindou est situé dans le plus beau site qu’il m’ait été donné de voir jusqu’à présent au Soudan. Vers[66] l’Est, à 200 mètres du village, une haute muraille de rochers de 60 à 80 mètres (peut-être 100 mètres) de hauteur, découpée comme une fine dentelle, ferme l’horizon. Cette muraille, qui est la continuation ininterrompue des rochers de Sindoucoro, se dresse subitement dans la plaine et n’a pas plus de 50 mètres de largeur. Au delà, c’est la plaine également.
Ces rochers affectent des formes extrêmement pittoresques. Quelques-uns ressemblent à des clochetons élégants aussi pointus que ceux des cathédrales. Certaines de ces pointes sont couronnées par un bloc énorme qui tient en équilibre par le plus grand des hasards. Ces pitons sont parfois très rapprochés, de sorte que le même bloc est posé en équilibre sur plusieurs cimes entre lesquelles passent des filets de lumière. On dirait un dolmen de géants. D’autres cimes sont découpées en nombreuses arêtes pointues.
La paroi latérale de ces rochers, tantôt à pic, tantôt étagée par gradins, parfois en surplomb, présente de nombreuses anfractuosités formant grottes. Elle est noirâtre par suite des thalles de lichens accumulés à sa surface, corrodée par l’action lente du temps et la disparition d’un grand nombre d’énormes galets détachés et tombés à la base. L’âge de ces rochers a été indéterminable pour moi, mais ils sont certainement bien plus récents que la plupart des grès qu’on rencontre dans le Soudan et qui sont probablement primaires. L’existence de ces rochers atteste la puissance de l’érosion. On ne peut, en effet, les regarder comme produits par une faille, car ils sont parfaitement horizontaux et il n’y a aucun indice de mouvement de terrain dans les environs.
Ces grès sont à grain fin ou gros, se désagrégeant facilement, riches en quartz cristallisé ; ils contiennent de nombreux rognons ovoïdes, de taille variable. Il y en a de la grosseur d’un œuf de poule et de plus gros que la tête. Ils sont formés de roches diverses : quartz blanc laiteux ou légèrement teinté, roches éruptives granitoïdes ou porphyroïdes indéterminées, blocs d’un grès dur certainement plus ancien ; parfois les corrosions qui ont raviné la surface de la roche ont laissé seulement une trace ferrugineuse.
[67]Les sables situés à la base et qui abondent dans tout le vallon de Sindou, contiennent de petits morceaux de quartz blanc, du mica blanc. Il n’y a pas trace de paillettes d’or. Quelques trouées dans ces rochers permettent de passer d’un versant à l’autre. Ce sont d’étroits couloirs souvent presque infranchissables par suite des soubassements qu’il faut escalader. Ces couloirs sont entièrement envahis par les goïn qui croissent jusque dans les fentes des rochers et s’élèvent parfois à une grande hauteur. Les fruits de cette liane à caoutchouc commencent à mûrir. Dans ces couloirs, on trouve aussi en grande quantité une belle Aroïdée aux feuilles découpées. Du côté ensoleillé (côté du village) il n’y a pour ainsi dire aucune végétation dans les rochers. J’ai récolté seulement une petite fleur blanche, odorante, de la famille des Acanthacées.
Ces rochers sont peuplés de petits singes gris. Au moment où je veux photographier le site, de longues files passent devant moi et vont escalader les cimes les plus infranchissables. Pour arriver au pied de ces rochers, il faut franchir un petit marigot, le seul qu’il y ait aux environs. Il est bordé de quelques elis. Une jeune bananeraie est plantée au bord.
En se dirigeant vers les rochers surplombant ce ruisseau, on voit devant soi quelques blocs de pierre placés debout comme des menhirs, dans une large trouée d’une centaine de mètres. En s’approchant de plus près, on constate que ces blocs constituent un énorme monolithe s’élevant à plus de 30 mètres de hauteur. Une large plate-forme surélevée, d’une dizaine de mètres au-dessus du sol, est bordée de hauts piliers et couverte d’un dôme de rochers. Des aiguilles fines de roches surmontent les piliers. Pour atteindre la plate-forme, il faut gravir des marches naturelles, entaillées dans le roc. De là, on découvre Sindou, ses beaux arbres, ses hauts palmiers, les montagnes qui limitent la vue à l’horizon.
Tout près de là, placé en face du monolithe en terrasse, un énorme bloc pointu, haut d’une vingtaine de mètres, s’élève droit et léger comme le tronc d’un arbre énorme dont la cime aurait été emportée par les orages, véritable obélisque naturel[68] et témoin imposant de la puissance de ces grès horizontaux qui couvrirent toute l’Afrique avant les grandes érosions, grâce auxquelles se sont constitués plus tard les grès et poudingues ferrugineux. Le pied de ces rocs est envahi par les goïn et les saba qui foisonnent tout autour. Un chemin de dioulas franchit cet admirable paysage.
La plate-forme est fort fréquentée par des visiteurs si l’on en juge par les innombrables débris de cuisine qui s’y trouvent. Elle sert d’abri contre les tornades et dans la journée protège du soleil grâce aux lianes qui l’environnent de toutes parts. Les abords de ces rochers sont assez nus.
C’est l’interminable lougan qui dans cette région de Sindou s’étend d’un village à l’autre. On y trouve quelques ntabas en fruits, quelques Acacias aux rameaux horizontaux, actuellement dénudés, de beaux buissons de goïn qui s’obstinent à pousser en abondance malgré les mutilations de toutes sortes qu’ils ont à subir : feux de brousse et surtout de lougans, déracinage à la daba, cueillette des fruits par les indigènes.
Le village de Sindou est assis au pied des rochers, entre le petit marigot aux ntés qui coule au pied, et les mamelons montagneux de l’Ouest. Il est entouré de beaux arbres : baobabs qui commencent à se couvrir de leurs feuilles d’un vert tendre et laissent pendre leurs grandes fleurs près de s’épanouir ; banians au tronc gigantesque de 15 à 20 mètres de circonférence, actuellement habités par des tribus entières d’ibis qui font un bruit infernal. L’ombrage épais de l’un de ces arbres sert d’abri à ma table de travail assez isolée, à mes plantes, à tous les hommes, à une partie des habitants de la soukala, aux enfants du village qui jouent là tout près, à un tisserand qui a pourtant un métier bien encombrant, enfin à tout un troupeau de chèvres.
Les finzan sont communs dans les lougans. Au marché on vend les fruits privés de la partie non comestible. J’ai vu encore vendre des oignons, des graines de nété, des tigani (Voandzeia subterranea Thou.), des boules de nété, du carapa, du tabac, des fruits de sé, du sel. A l’intérieur du village, j’observe un seul papayer, assez vigoureux mais sans fruits, quelques[69] doubalés assez nombreux mais jeunes, un Acacia actuellement en fleurs (Acacia arabica Willd.). Le village est divisé en nombreuses soukalas agglomérées, séparées par des murs dans la construction desquels les canaris vides paraissent jouer un grand rôle. Il y a, en effet, une quantité prodigieuse de ces vases sur la crête et dans la maçonnerie des murs de tata et de soukala.
Les forgerons habitent une soukala spéciale, située à 200 mètres du village. Il y a un haut-fourneau, une forge avec soufflet. L’appel de l’air se fait par le gueulard, muni du soufflet. C’est à 100 mètres de là, plus près du village, que les femmes des forgerons font sécher les canaris, les vernissent et y tracent des hachures assez élégantes.
Le travail des lougans bat son plein en ce moment. Tous les matins, entre 5 et 6 heures, tous les captifs : hommes, femmes, enfants, se rendent dans les lougans en passant devant ma case, avec des dabas, des haches, des calebasses, des gourdes d’eau, des tisons allumés, du mil. On ne revient au village, que le soir, à la tombée de la nuit. Dans la journée, le chef va faire une tournée dans son lougan pour surveiller le travail.
Le mil commence à lever çà et là. Il a été semé sur les monticules dont j’ai parlé ou sur le sommet de véritables sillons à arêtes vives. Il y en a de 1 à 3 pieds à chaque point ; ils sont espacés de 70 centimètres environ. Au coin de chaque pièce de terre cultivée, on trouve généralement un bloc de pierre plate, sur laquelle on a tracé une croix en noir. C’est certainement un gri-gri pour préserver le champ des mauvais génies. A l’entrée des villages, on aperçoit de vieux pagnes, de vieux bonnets, des feuilles sèches, des bouts de cordes, des paquets de mil, des os d’animaux, des brins d’herbes qui doivent préserver l’étranger entrant dans le village, des mauvais génies, qui sans cela ne cesseraient de le tourmenter.
Les petites gazelles abondent dans le pays ; j’en ai vu tous les jours en venant de Sikasso. Il s’en trouve dans le lougan même de Sindou. Le fosso ni kouna (Cleome pentaphylla L.)[70] est très visité le soir, par les abeilles ; il n’y en a pas durant le jour.
Le chef du village est jeune, intelligent et dévoué. C’est un beau type bambara. Les habitants du village, m’ont paru d’ailleurs bien au-dessus de la moyenne intellectuelle des bambaras. Ils sont presque tous musulmans.
Samedi 13 mai. — Au départ, on traverse une assez grande étendue de lougans, plantés de baobabs, banans, etc. Je vois pour la première fois le baobab à fleurs ouvertes et pendantes. Dans les lougans nouvellement ensemencés, on laisse les arbustes à soie végétale (Calotropis). Je n’ai pu savoir pourquoi. Les indigènes me disent que cette plante ne leur sert à rien. La terre cultivée est disposée en sillons écartés de 70 centimètres. Les travailleurs bêchent activement : leur daba est très incommode mais ils s’en servent avec adresse. Les dabas sont ici l’objet d’un commerce important. J’ai vu pour la première fois, en fruits mûrs jaune d’or, le nougouniéné que les indigènes mangent (Anona senegalensis Pers.).
Pour aller à Tourouni, il faut suivre sur l’autre versant les rochers que l’on voit en venant de Sindou et franchir un contrefort. De Sindou à Tourouni, il faut aussi escalader à quatre reprises des rochers très pittoresques.
A 6 kilomètres de Sindou, nous passons un marigot bordé de hauts nétés. A côté du marigot suivant, j’observe, dans un endroit marécageux, une grande quantité de petites fleurs émaillant les herbes basses et leur donnant l’aspect des pays d’Europe au printemps. A mon arrivée à Tourouni, je vois le village tout bouleversé. C’est le jour du marché ; il y a autour du banan 300 personnes environ, appartenant à divers territoires. Ils ont tous un aspect hideux avec leurs barbes incultes. Plusieurs femmes n’ont pour cacher leur nudité qu’une feuille de n’taba retenue par un filament de ban. Les hommes ont du moins le pagne rudimentaire, sorte de ceinture étroite nouée autour des reins. Ces gens presque nus[71] sont les Touroucas ou Turcas. Quelques-uns portent au menton, sur le milieu de la lèvre inférieure, une petite baguette couleur corail.
A mon arrivée, tous se préparent à fuir. Quelques-uns ont déjà placé leurs marchandises sur la tête. Plusieurs sont armés de lances. Le chef du village s’est sauvé en voyant passer le convoi. Je fais appeler un notable (Karamotro), qui est le frère du chef. Je lui dis aussitôt d’ordonner aux gens du marché de rester, car je ne viens pas pour leur faire du mal. Puis, je demande qu’on m’apporte du dolo. Le frère du chef fait venir plutôt en rechignant du dolo et du bangui, et, pendant que mes hommes se reposent et boivent à l’ombre d’un finzan, il nous observe du coin de ses petits yeux sournois. Il a plutôt l’air d’une brute que d’un homme et il diffère beaucoup du chef de Sindou, au regard franc et intelligent, bon musulman, ne buvant jamais de dolo et faisant salam le soir.
Accompagné de Codiou Idilié, mon tirailleur, je me dirige de nouveau vers le marché pour voir ce qui est en vente. Une nouvelle tentative de fuite, bientôt calmée, se produit. Je vois sur ce marché : du mil, diverses galettes de mil, du savon, des boules et des graines de nété, des feuilles et fruits de n’goyo, des fruits de focoro, beaucoup de dabas, des nattes en ban, de petites corbeilles plates et de petits paniers en feuilles de Raphia assez élégamment tressés, plusieurs calebasses de beurre de vache et de fruits de sé, de nombreux poulets (quelques-uns très jeunes), renfermés dans de petites cages tressées en Raphia. On vend aussi des niébés, des tigas, des feuilles de baobab desséchées pour mettre dans le couscous (cira-bourou), des patates, et enfin une boisson blanc-clair contenue dans un grand canaris et qu’une mousso débite avec une petite calebasse à poignée. Cette boisson fermentée est légèrement acidulée ; elle est agréable au goût. On la prépare avec des fruits de goïn d’où son nom de poporon gui ou goïn dolo. Elle n’est fabriquée que dans cette région du Soudan.
On prépare encore une boisson fermentée avec les fruits de tingué qu’on trouve autour du village : c’est le tingué-dolo.[72] Enfin Morifin m’apprend que dans son pays Bissanougou, on boit encore un autre dolo analogue au tingué, mais préparé avec le nté. C’est le gui dolo ou ntégui.
Au sortir du village, il faut traverser un joli marigot étendu, qui coule sur les rochers avec de nombreux rapides. Il est assez large, et son passage la nuit serait dangereux. L’eau, en effet, en tombant de bloc en bloc, a creusé des entonnoirs, dont on n’aperçoit pas le fond ; elle vient s’y engloutir en bouillonnant. On longe pendant quelque temps ces rochers et ce marigot ; la végétation au bord est chétive, mais la fougère aquatique de Fincolo est commune entre les fentes des pierres submergées ou émergeant de l’eau. On franchit ensuite un plateau ferrugineux, puis deux marigots avant d’arriver au village de Soukouraba.
Tous les hommes de Soukouraba se sont enfuis en apprenant mon arrivée. Il reste seulement 4 ou 5 mâles sur 600 à 800 habitants. Je fais dire au chef du village que s’il n’est pas rentré dans une heure avec les principaux notables, je préviendrai le grand chef des blancs de Sikasso qui lui infligera une forte amende. En peu de temps tout le monde revient dans les soukalas, comme par enchantement, et l’on m’apporte des poulets, des œufs et du dolo.
Dimanche 14 mai. — Nous partons de Soukouraba à 6 heures du matin, et nous traversons le lougan actuellement en pleine culture. J’aperçois l’Orchidée commune, à fleurs violettes. Le goïn est encore assez commun dans la brousse ; quelques pieds en ont été détruits dans les lougans. A 2 ou 3 kilomètres, on voit encore des rochers élevés sur la gauche, mais durant toute l’étape, nous n’en aurons pas à franchir.
A l’entrée du village de Samorokiri, je puis signaler des banans, des finzans et des coros. Le coton cultivé est assez beau. J’observe pour la première fois un bel arbre à tronc cylindrique, élevé, creux à la base, à écorce cendrée, à feuilles ovales pointues : c’est le caba iri à port de hêtre.
[73]Au sortir du village, à environ 3 kilomètres, il faut passer un marigot assez difficile, dont le lit est encombré de branchages et creusé de fosses profondes. Dans les endroits les moins profonds, l’eau vient jusqu’au poitrail des chevaux. J’ai trouvé au bord du sentier, dans les lougans, une Papillionacée à fleur violette, et, au bord du sentier de la brousse, un Cyperus à inflorescences blanches. J’ai remarqué aussi dans les endroits un peu ombragés, une Labiée subligneuse haute de 50 centimètres à 1 mètre, à fleurs d’un blanc-verdâtre avec deux étamines fertiles, en épis terminaux, et à feuilles verticillées par trois.
Je rencontre plusieurs femmes revenant avec des paniers pleins de sé. J’en vois quelques-unes, perchées sur des sés élevés en train de faire tomber les fruits avec une gaule, pendant que d’autres les cueillent sous les arbres.
Nous traversons successivement, à 3 kilomètres de distance, deux marigots fort boisés, bordés de bili en fruits, de cobi, de codoudou. Le premier marigot possède une jolie chute d’eau ; j’y remarque une Muscinée. Au deuxième, je récolte deux plantes intéressantes. Le village est à 500 mètres de ce marigot. Nous traversons le lougan où j’observe quelques touffes de goïn qui semblent avoir été ménagées. Quelques-unes, très belles, grimpent dans les nétés.
Le village de Guiri est entouré d’une quantité considérable de rôniers (Borassus flabelliformis Murr.) ; ils sont très serrés, comme s’ils avaient été plantés, et viennent jusque dans les rues du village. La couronne de feuilles de ces arbres est fort endommagée par suite des feuilles coupées pour retirer le gouégui. On m’apporte de ce vin de palme qui n’est pas désagréable.
Tous les habitants de Guiri se sont enfuis, ayant appris la nouvelle de mon passage. Il reste seulement trois hommes. Je suis obligé de palabrer longtemps pour qu’on m’apporte un poulet, du couscous et surtout pour qu’on aille chercher dans le lougan, le chef du village et le chef des cases. Les tisserands eux-mêmes ont quitté leurs métiers.
Dans le village il y a quelques beaux arbres à vers à soie (Zizyphus orthacantha), de grands banans, des finzans, dont[74] on récolte les fruits. Un marigot desséché se trouve au bord même du village. Je remarque sur les bords le bili et le cobi. On cultive aussi le diéfa et le diaba. Je trouve, enfin, en train de sécher devant la case du chef, des fruits d’une cosse, noirs, luisants, un peu tortueux, longs de 15 à 20 centimètres. Ce sont des fruits de saman cara (bambara) ou rou cogo (sénoufo). Les graines épluchées et pilées servent à tuer les poissons dans les marigots, comme le diéfa diaba.
Lundi 15 mai. — Entre Guiri et Sérékéné, les goïn sont encore assez communs. J’ai vu aussi quelques sabas, coundani, codoudou, bili.
Le cobi est très commun au bord des marigots ; ses fruits sont mûrs et souvent sur l’arbre. Les fruits de bembé sont mûrs également. Ils sont formés d’une petite baie gluante avec un gros noyau à l’intérieur, à peau verdâtre d’un côté et rouge noirâtre de l’autre, avant la maturité du fruit. Mes porteurs en cueillent des bouquets le long de la route et en mangent les fruits.
Le village de Dousogo est à 6 kilomètres de Guiri. J’y remarque un pied de manioc, quelques beaux bananiers et des patates. Chaque Soukala est entourée de bosquets de rôniers exploités pour le vin de palme. Les ntés sont communs au bord du marigot ; ils ne paraissent pas avoir été soignés. La plupart des rôniers souffrent de l’exploitation.
De Dousogo à Sérékéné, il faut franchir plusieurs montées assez raides. Les plateaux ferrugineux réapparaissent et occupent de grandes étendues. L’horizon est toujours bordé de tous côtés par des croupes élevées. Près de la dernière soukala de Dousogo, je remarque une touffe de l’Euphorbe cactiforme, des environs de Kankan. Après avoir dépassé Dousogo de 1 kilomètre environ, je trouve un grand plateau sablonneux, cultivé en partie en lougan, tout émaillé de la Muscinée décrite plus loin, et qui est en fleurs. Le sable est jonché de Méloé.
[75]A Nialé, je suis bien accueilli. Les notables du village viennent me saluer. Ils appartiennent à un fort beau type et sont bien taillés. Ils ont, de plus, l’air fort intelligent à l’encontre des habitants de Guéri et de Sérékéné. D’ailleurs ils ne semblent pas appartenir à la même tribu. Les cases bambaras dominent. Pendant le palabre, j’observe un bilacao qui a pris un margouillet et lui lie les pattes pour le faire griller et le manger. Dans presque tout le Soudan, ces lézards sont ainsi mangés par les enfants. Le fils du griot vient nous accompagner jusqu’à Sérékéné.
Il faut encore franchir plusieurs montées avant d’arriver. Nous traversons notamment un plateau étendu, formé par une argile jaune dure. Ce n’est que sur un massif qui la dépasse un peu, que je retrouve les roches ferrugineuses (exploitées à Nialé pour l’usage des forgerons).
A 1 kilomètre de Sérékéné, je passe un petit marigot à chutes d’eau. Le village de Sérékéné est assez grand et les soukalasy sont agglomérées. Il est noyé dans une véritable forêt de sibis. Ces arbres très beaux et rapprochés les uns des autres donnent au village un aspect pittoresque. Le gouégui est activement exploité. On retire le vin des feuilles non encore épanouies. Pour atteindre à la cime de l’arbre, on se sert d’échelles formées de deux longs rachis de ban écartés de 15 à 20 centimètres et liés de 30 en 30 centimètres avec des lanières de Raphia en guise d’échelons ; ces échelles sont appliquées contre les palmiers à saigner. D’autres, présentent de distance en distance des billettes enfoncées dans le tronc normalement à son axe et permettant d’y grimper jusqu’au haut.
Pour retirer la sève, on pratique, au milieu du rachis d’une vieille feuille, une incision profonde, de manière à atteindre le cœur de l’arbre. Le liquide s’écoule par un tube de bambou qui vient faire saillie au dehors. Une courte calebasse est liée autour de l’arbre pour recueillir le liquide. On la recouvre souvent, en partie, pour empêcher l’évaporation.
Le village est entouré de beaux banans, de baobabs et de finzans. On trouve aussi, cultivés autour du village, de beaux[76] Strophantus jaunes (koumarou). Quelques-uns ont le tronc cendré ; il atteint la grosseur de la cuisse. Ces arbres sont encore en fleurs. J’aperçois dans le village quelques beaux bananiers sans régimes et des citronniers portant des fruits assez gros, exquis. Les forgerons possèdent des hauts-fourneaux et des forges importants. Toutes les cases du village sont carrées, couvertes de seco (terre) et un peu au-dessous du niveau du sol. Pour y pénétrer, il faut passer par un trou un peu surélevé au-dessus du sol et tout juste suffisant pour qu’une personne puisse entrer. Les habitants sont indolents (quoique leurs lougans soient importants) et presque tous abrutis. Ils parlent une langue qui n’est ni le bambara ni le senoufo et mes hommes les comprennent difficilement. Le chef du village et son fils, sans autres vêtements qu’une étroite ceinture, sont tellement abrutis qu’une de leurs moussos est obligée de venir leur expliquer ce que je veux. Ces populations appartiennent à la famille des Tousans (différente des Tourcas ou Touroucas).
Il existe là un usage dont je n’ai encore trouvé trace nulle part. Lorsqu’une femme est restée un an mariée sans concevoir, elle va dans la brousse chercher des bambous. Si elle enfante dans l’année qui suit (ce qui arrive presque toujours) elle installe auprès de sa case un petit autel formé par quatre piquets fourchus, hauts de 1 mètre environ, fichés en terre, en carré de 70 centimètres de côté environ. Sur ces piquets, elle dispose des branchages et notamment des rameaux feuilles de bouré. Tout cela est pour remercier Dieu d’avoir exaucé son vœu. Ces autels encombrent les alentours de toutes les cases. Je suis obligé d’en démolir plusieurs pour installer mon lit, au grand scandale de tout le monde et spécialement de mon tirailleur, persuadé qu’il arrive malheur « quand on dérange grigri appartenant à d’autres. » Sous ces autels, il existe ordinairement un petit monticule sur lequel sont fichées des plumes. On a sacrifié un coq blanc.
Il a fait très chaud toute la journée ; aussi, suis-je obligé de coucher dehors. Le soir, il fait beaucoup de vent, ce qui produit, par le frôlement des feuilles des rôniers entre elles, un bruit remarquable de ferrailles.
Mardi 16. — Nous partons de Sérékéné à 6 heures du matin et nous traversons successivement les villages de Kouni, Guigonéla et Kassa. Ces villages sont formés de soukalas isolées et fort espacées, séparées par de véritables forêts de sébis. Ces sébis sont parfois rapprochés de moins d’un mètre et dans le sous-bois qu’ils forment, croissent de nombreux jeunes pieds prêts à se développer. Ils s’étendent au loin dans la brousse et dans presque tous les lougans, ce qui donne un aspect très spécial aux villages. On rencontre, en outre, aux environs, de beaux banans, des finzans (dont une grande partie des fruits tombent ou sont sur le point de tomber), des baobabs.
A Guigonéla, une partie des cases sont détruites. Ce sont les sofas de Bademba qui sont venus faire des incursions dans le pays et enlever les captifs. Les notables du village viennent me saluer en apportant deux grandes calebasses de gouégui. Chacun d’eux porte, en outre, sa petite gourde du capiteux liquide et pendant que mes hommes se reposent en buvant le gouégui, les gens du village, accroupis autour de nous, vident à longs traits leurs gourdes. Je crois que si ces gens sont si abrutis, en général, cela tient en grande partie à la consommation importante qu’ils font de vin de palme. Tout leur travail se réduit à deux choses : 1o culture des lougans ; 2o entretien des sébis et récolte du vin. Dans ces villages, les autels remarqués la veille sont de plus en plus nombreux, plus élevés et plus solidement construits.
A Kassa, les habitants s’enfuient à mon arrivée. Il reste seulement quatre ou cinq individus, nus, couchés sur des feuilles fraîches de rôniers. Ils ressemblent plutôt à des brutes qu’à des hommes. Je ne puis arriver à leur arracher une parole. Ils nous considèrent avec des yeux hagards. C’est une femme (comme à Sérékéné) qui nous remarque sur le chemin. Les femmes, en général, sont dans ce pays plus intelligentes que les hommes. Cela tient à ce que beaucoup sont étrangères, étant donné qu’elles comprennent et parfois parlent bambara,[78] à l’encontre des hommes. Enfin, elles ne boivent pas de gouégui comme eux.
A Guigonéla, je remarque de beaux Strophantus autour du village.
Soubaramidouzou est un village entièrement tousan : il est environné de très nombreux rôniers. Toutes les cases sont couvertes en argamasses. On m’apporte du m’boin et des œufs. Le chef vient même me saluer et me promet du couscous pour les hommes. Ne trouvant pas de case habitable, je me suis installé sous un énorme banan. L’arrivée d’un agent politique qui vient prélever l’impôt et demander des cories met tout le village en fuite. Nous attendons toujours le couscous. Je suis obligé d’aller menacer les moussos du chef, seules restées ; enfin, vers trois heures, le couscous est préparé. Les tirailleurs et les porteurs le trouvent mauvais, n’étant pas préparé avec leur tô traditionnel. Une tornade survient à ce moment et nous force à nous réfugier dans le village ; je trouve une case qui est juste assez grande pour contenir mon lit. Je m’y installe avec mes collections pour ne pas etre trempé. Après la pluie, je puis faire une petite promenade dans le village.
Il existe plusieurs soukalas assez éloignées, toutes séparées par des bois de titis. Les finzans sont nombreux. On me montre aussi deux beaux citronniers dont les fruits sont récoltés. Il n’y a pas de jardins, me dit-on, dans le village. L’entretien des rôniers et la récolte du vin paraissent constituer presque toute l’occupation des indigènes.
Une grande partie des arbres sont munis d’une petite calebasse allongée. On saigne les palmiers dès qu’ils ont une taille de 2 mètres. Les plus hauts, atteignant jusqu’à 20 mètres, sont également saignés. La récolte se fait indifféremment sur les pieds mâles ou femelles. Pour faire cette récolte, on incise en son milieu la gaine d’une feuille déjà avancée, qui entoure le bourgeon végétatif terminal de manière à pouvoir arriver à ce bourgeon en sectionnant les feuilles jeunes, non développées, qui constituent le bourgeon, sans atteindre le point végétatif, de façon que le palmier continue à se développer. La blessure[79] ainsi pratiquée est assez large. Cette rigole vient déboucher dans la petite calebasse liée par des cordes autour du palmier. On laisse la calebasse plusieurs jours dans cette position et on remplit la profondeur de la blessure de feuilles de finzan pour que l’évaporation ne soit pas trop rapide. Une partie des rôniers sont actuellement en fruits, d’autres commencent à fleurir.
Il a fallu les menaces (et peut-être aussi des coups de corde) de l’agent politique pour que le douzoutique m’apporte un poulet. Je veux lui donner des kolas en échange, mais il ne les connaît pas. Un morceau de sel paraît lui faire plaisir. Ce chef est aveugle et âgé. Au lieu de s’enfuir, comme les autres, il s’était caché. L’agent l’a découvert. Le chef et le village sont misérables. J’ai fait installer mon lit dehors sous un finzan, mais au milieu de la nuit une tornade s’abat sur le village en moins de trois minutes. On entend des roulements lointains ininterrompus ressemblant à des salves d’artillerie. L’eau tombe à grosses gouttes. Le tonnerre s’approche et j’ai à peine le temps de me réfugier dans l’horrible antre étroit, long de 2 mètres environ, où je passe un reste de nuit horrible, dévoré par les moustiques, visité par de grandes chauves-souris qui, dès que la pluie a cessé, viennent se réfugier dans la case pourtant barricadée, plutôt mal que bien, avec des nattes.
Mercredi 17. — Nous sommes partis assez tard de Soubaramidouzou, le chef du village ayant fait attendre le guide promis. Vers six heures et demie, le départ a eu lieu. La route est monotone. Çà et là, je remarque l’Orchidée et la Liliacée à grande fleur en lis, puis l’autre jolie Liliacée décrite plus loin.
A 4 kilomètres environ de Soubaram, le tirailleur tue une gazelle de belle taille que nous sommes forcés de laisser dans la brousse, personne ne pouvant la transporter. Il a fallu envoyer six porteurs de Kountseni pour la faire dépecer sur place et la rapporter.
Les plateaux ferrugineux constituent le station la plus aride et la plus sèche du Soudan, quoique les plantes grasses ou Crassulacées y soient rares ou nulles. Dans les endroits les plus arides, la roche demeure constamment nue. La végétation est réduite à quelques plantes basses subligneuses qui croissent entre les fentes de la roche. Dans les endroits couverts d’une mince couche de sables ferrugineux et de petits galets, la terre se revêt à l’hivernage de petites Graminées et de Monocotylédones bulbeuses : oignons de panthère, petite Liliacée.
Dans les dépressions de ces plateaux rocheux, l’eau s’accumule à la suite des tornades et forme de petites mares temporaires bientôt desséchées après les premières pluies ; elles sont espacées les unes des autres, mais persistantes en plein hivernage. Dès les premières tornades, le sol, au bord de ces mares, se couvre d’une végétation grêle, verdoyante, qui se dessèche et meurt dès l’assèchement des mares. Ce phénomène se renouvelle plusieurs fois jusqu’à ce que les pluies deviennent persistantes. Il se perd ainsi une quantité considérable de graines qui germent, mais n’arrivent pas à leur complet développement. C’est seulement à l’époque où les pluies deviennent fréquentes que cette végétation peut fleurir ou fructifier.
Parmi les plantes qui croissent dans cette région, je remarque un jeune Marsilea polymorphe. Cette plante est très abondante sur la vase noire au bord de ces mares. Souvent les embryons forment de véritables lignes de verdure là où les vagues ont accumulé des brindilles sèches et autres détritus légers de toutes sortes. La plantule présente à sa base un petit tubercule cendré brillant. Outre ce Marsilea, j’ai remarqué encore au bord de ces mares une petite plante (Cypéracée) à feuilles filiformes et souche un peu tuberculeuse. Je trouve encore deux autres plantes aquatiques à feuilles vertes, minces, flottantes ou exondées, graminiformes.
[81]La faune paraît assez variée. Après chaque pluie, dès que la mare est constituée, elle se remplit immédiatement (la tornade étant à peine finie) de crapauds de toutes grosseurs faisant un bruit infernal. J’ai remarqué encore un petit vist rougeâtre très agile, une petite sougous, un petit crustacé renfermé dans une coquille bivalve mince entr’ouverte, de petits coléoptères noirs à reflets métalliques. Ces mares sont visitées par des oiseaux de rivage.
19 mai. — Le départ de Toukoro a lieu à 4 heures du matin. Nous arrivons à Kouni vers 7 heures 1/2. Le village est entouré à une grande distance de sibis espacés. Je remarque aussi dans la brousse beaucoup de kobis qui croissent dans les lougans et paraissent y avoir été plantés. On voit toujours quelques ntés dans les dépressions et surtout au bord des marigots. Le village de Kouni est assez important. Il n’y a pas de soukalas isolées, mais toutes sont agglomérées. Les habitants sont complètement nus. Ils n’ont que quelques ficelles passées entre les jambes et qui servent à attacher les feuilles tenant lieu de vêtement. Les cases sont carrées, couvertes en argamasses et surmontées d’un petit donjon.
Des pieux sont plantés en terre auprès de chaque case et soutiennent des gradins grossiers permettant d’arriver jusqu’au haut.
Les femmes sont, en ce moment, occupées à la préparation du beurre de karité. Il y a autour de chaque case des monceaux de fruits de sé en train de sécher.
Au delà du village coule un beau marigot, large, que l’on franchit sur un pont solide construit par le cercle. A proximité, se trouvent les cases des passagers, bâties dans un joli site, à l’ombre de grands arbres couverts presque tous de lianes goïn d’une belle ampleur. Une montée ferrugineuse qui part du marigot en s’élevant vers Bobo, contient une assez grande quantité de ces lianes. Au bord du marigot je[82] remarque encore des bambous. A partir de là, jusqu’à Bobo, le chemin est fort monotone. Les arbres qui dominent sont : le sé, le néré, le cobi (dans le lougan), le sounsoun, parfois le tingué. Les sébis sont assez abondants, mais deviennent de moins en moins communs quand on approche de Bobo.
En somme, tous les terrains compris entre Kouni et Bobo sont des lougans qui, çà et là, retournent à l’état de brousse, en attendant que les indigènes y mettent encore une fois le feu, la jachère finie, pour cultiver de nouveau. J’ai vu à Kouni un cotonnier élevé, diefa diaba. Le pourpier est assez commun dans les rues du village. La roche constituant le sol de Bobo à Kouni est un grès tendre. Le sol présente de nombreux petits morceaux de quartz blanc, non roulé, ainsi que des paillettes de mica. J’ai remarqué çà et là des blocs de roche noire éruptive.
A Bobo, il existe, à 700 mètres du poste, sur la rive droite d’un petit marigot, plusieurs points où les lianes goïn abondent (700 environ par hectare). Elles fournissent des pousses hautes de 3 à 4 mètres, à rameaux groupés de façon à former des buissons en boules. Comme à Sindou, et plus encore, les goïn constituent là le fond de la végétation. La maturité des fruits est bien moins avancée que dans les terrains parcourus aux environs de Sindou. Il existe quelques sabas, mais ils sont rares et clairsemés. Le terrain sur lequel se trouvent ces lianes est un plateau ferrugineux très dénudé. A part les lianes, on ne trouve guère dans cette région que le n’goulé. Ces terrains ferrugineux recouvrent immédiatement les grès à grain fin (parfois colorés par l’oxyde de fer). On voit bien cette superposition sur les bords du marigot, au-dessous du marché. Le petit ruisseau qui côtoie les bords du poste coule presque toujours sur ces grès ; il présente çà et là de petites chutes ainsi que des cuvettes profondes creusées dans la roche. J’ai remarqué quelques algues, dont une blanche allongée au fil de l’eau, des vertes, et une bleue ; des mousses, quelques ntés, des cosos.
[83]Visite des jardins du poste, le 20 mai. — Les Cearas sont très beaux. Je remarque des plants d’indigotier, des cotonniers de Virginie et des ricins. Les concombres et melons réussissent bien dans le jardin. Les haricots et les pois viennent mal ; les salades et choux, médiocrement. Les citronniers réussissent mais on n’a pu faire prospérer les semis de kolatiers. Une bananeraie de belle venue est plantée sur les bords du marigot ; il n’y avait rien, il y a deux ans, maintenant elle rapporte ; on l’a étendue beaucoup ces temps derniers en plantant des drageons tout le long du marigot, à côté duquel est installée une cressonnière. On a creusé une large fosse où l’on a amené l’eau du ruisseau qui coule constamment en formant seulement une mince couche. La cressonnière est recouverte en dessus par une paillotte portée sur des piquets, qui la mettent à l’abri des rayons solaires. Sa réussite est assurée.
Mardi 6 juin 1899. — Sakami. — Banankalidoro. — Nous partons de Bobo à 6 heures du matin. Le sous-lieutenant m’accompagne jusqu’à Sakami.
Sur toute la longueur de la route, le pays est assez monotone, occupé presque partout par des lougans ou par des emplacements de lougans où croît une maigre végétation. Quelques karités ont encore des fruits. Tous les nétés, sans exception, sont dépouillés de leurs gousses. Le oro et le saba constituent parfois le fond de la végétation. Je remarque l’Orchidée à fleurs violettes qui est très commune ; quelques touffes croissent dans l’humus, remplissant les anfractuosités (exposées à la lumière) des vieux arbres. Ses feuilles commencent à se développer. La Monocotylédone à fleurs liliiformes croît çà et là ; quelques individus ont leurs fruits (non mûrs).
A Bobo, Sakami et Banankalidoro, les indigènes travaillent activement à leurs lougans ; presque partout l’ensemencement est terminé depuis une huitaine de jours. Dans tous ces lougans,[84] j’ai vu planter le mil en place. La terre bien débarrassée des herbes n’est ni labourée, ni bêchée. Le planteur de mil porte à la main une petite corbeille contenant des graines et de l’autre une daba à manche court, à lame étroite. Il donne à sa droite et à sa gauche un coup de houe, pour enlever une motte de terre, laisse tomber de deux à six graines (souvent trois) et rabat rapidement la terre. L’opération étant faite à droite et à gauche, le noir avance d’un pas et continue ainsi, restant toujours courbé vers le sol. Malgré cette position fatigante, qu’il garde constamment, l’indigène effectue son travail rapidement. Les trous sont espacés de 70 à 80 centimètres aussi bien dans un sens que dans l’autre et disposés en lignes assez régulières.
Ce serait une erreur de croire que les indigènes ne fument pas leurs lougans. Ils transportent dans leurs champs les ordures de l’intérieur des villages : débris de cuisine, nettoyage des cases, fientes de moutons, de chèvres, crottin de cheval et même excréments humains. Ces engrais sont disposés dans les champs, quelque temps avant l’ensemencement, en petits tas de 20 centimètres de diamètre aux points où on déposera des graines. J’ai vu fumer ainsi le mil à Bobo, à Banankalidoro. Le mil lève en quatre jours par un temps humide, mais il est bien plus long à germer par un temps sec. La semence peut même être perdue si la chaleur persiste. Les jeunes pieds (et les graines) sont enfoncés dans le sol de 3 centimètres environ. J’ai vu de jeunes plantules, germées depuis quelques jours seulement et possédant quatre feuilles, avoir les deux inférieures déjà couvertes de la rouille du mil. Pour l’ensemencement des lougans, les moindres places sont utilisées : l’emplacement des cases démolies, les places mêmes, les abords des cases. Ces terrains, beaucoup plus riches en humus que les autres, produisent le mil en plus grande abondance.
A Bobo, pendant mon séjour, on ensemençait autour du marché, à l’intérieur même de la ville. A Sikasso, on utilisait la partie détruite de la ville. Les femmes ensemencent aussi, mais leur travail avance moins et elles ne font souvent qu’une[85] rangée de trous à la fois. Lorsque, par suite des pluies, il s’est développé trop d’herbes dans la terre avant l’ensemencement, on les arrache toutes. Dans tous les champs de Banankalidoro, les habitants sont en ce moment occupés à arracher un Cyperus en fleurs qui pousse en telle quantité dans le lougan, qu’il en constitue à lui seul la végétation. C’est après sa destruction seulement qu’on fera l’ensemencement.
Dès que les jeunes mils sont sortis de terre, on commence le sarclage en arrachant encore toutes les mauvaises herbes qui lèvent. Plus tard, l’opération du binage sera pratiquée. Il n’y a, je crois, que l’ensemencement du mil qui tire les indigènes de leur torpeur et de leur apathie. Ils le soignent certainement avec plus de sollicitude que notre paysan soigne son blé. Chaque fois que Guimbi, la sœur du roi de Hong, venait nous voir, elle parlait de son mil, et se lamentait quand l’eau était plusieurs jours sans tomber.
Le palmier rônier sibi est commun autour des villages de Sakobi et Banankalidoro. Son tronc ici n’est généralement pas moniliforme. Cela tient, je crois, à ce que l’on en saigne les arbres bien plus rarement. La plupart, en effet, offrent une belle couronne de feuilles (une trentaine par arbre). Ces palmiers existent aussi çà et là dans les vieux lougans. Leur tronc est souvent très étroit dans la moitié inférieure et devient brusquement plus gros dans la moitié supérieure. Le tronc est fréquemment couvert de plaques de lichens (non fructifiés). Quand la base du pied est un peu déterrée, on aperçoit un court cône de racines adventives, noires, rayonnant à la base.
A Banankal, il y a d’assez nombreux finzans encore chargés de fruits, quelques fromagers ; quelques Acacias à cime aplatie en ombelle large, à écorce blanche ; quelques baobabs, un exemplaire de l’arbuste à fleurs blanches, bicomposées, planté à Kayes et Saint-Louis. Les habitants du village ont chacun un coin de terre (jardin) entouré d’un enclos de tiges entières de mil tressées. Dans l’un des enclos, j’observe des maniocs cultivés et des jeunes pieds de mil. Dans un coin de lougan, je remarque aussi de jeunes plants de maïs. Les trous[86] de mil et de maïs alternent. Il y a de trois à cinq plantules par trou. Le maïs commençant à lever est facile à distinguer du mil ; ses jeunes feuilles sont bien plus larges.
Au milieu des lougans, on observe des pieds de :
Tingué (presque tous les fruits sont tombés) ;
Strophantus : l’espèce à longs fruits très velus. Les feuilles sont souvent rongées, érodées par les insectes.
Fafetone appelé baga (dioulas). Son latex associé au Strophantus sert à empoisonner les flèches ;
Indigué bagani : les fruits servent aussi à empoisonner les flèches.
Le pourpier est assez commun dans le village. On emploie, pour faire la sauce de couscous, le quiquiri, le tombi, les jeunes pousses de l’Amaranthe sauvage.
7 juin 1899. — Les terrains dénudés (plateaux ferrugineux et autres) se couvrent en ce moment d’une végétation abondante (Graminées et Cypéracées) mais courte et tenue. J’observe pour la première fois une petite Cypéracée à inflorescences blanches, haute de quelques millimètres.
Nous passons la Baoulé, une des branches de la Volta. Au bord il existe de très beaux arbres. Les bambous commencent à se couvrir de feuilles, qui sont en ce moment d’un beau vert. J’aperçois encore, fleuri, le Strophantus à fleurs pourpres. Le saba en fleurs (var. glabre) est commun. On trouve aussi maintenant, tout le long du chemin, de nombreuses enveloppes de fruits qui ont été mangés par les dioulas ; la route est en effet très fréquentée. J’ai rencontré une dizaine de petites caravanes d’ânes, de bœufs et d’esclaves, transportant des barres de sel vers Bobo.
Il existe dans les lougans quelques beaux rejets de coton. Ce sont d’anciennes touffes sur lesquelles il se développe en ce moment des repousses non encore en fleurs. Dans le village de Bama, j’ai vu de beaux plants de mil et de maïs déjà avancés, et un pied de ricin. Les sibis deviennent bien plus rares ; il n’y[87] en a ici que quelques petits groupes. On ne trouve pas de baobabs dans le village mais de beaux doubalés et banans presque tous arbres fétiches, entourés de tessons, canaris et calebasses. A l’une des entrées du village, au bout de deux bâtons, une coquille est suspendue comme fétiche.
Les tirailleurs se plaignent de la mauvaise qualité du couscous, dont la sauce au lieu d’être faite avec du gon, est préparée avec du nanogo.
Au départ de Bama, on traverse des lougans de grande étendue. Tous les jeunes pieds de mil, sans exception, sont couverts sur leurs cotylédons et leurs feuilles, de la rouille des Graminées. Cette maladie se retrouve aussi fréquente à Dandéla et à Samandini. Elle se développe dès que la petite feuille cotylédonaire est étalée. Sur les pieds déjà âgés, les feuilles les plus récentes portent le champignon à leur extrémité ou elles n’en ont pas du tout. Mais à ce moment, les premières feuilles sont déjà complètement mortes, tuées par le champignon. Une rouille analogue se trouve sur les jeunes pieds de maïs. Je l’ai observée à Samandini. Des rouilles noires se trouvent en quantité sur les vieux chaumes morts des Graminées de la brousse, utilisés comme paille. La toiture des cases bambaras, les paillottes ont parfois, à distance, l’aspect gris noirâtre à cause du grand nombre de ces rouilles noires.
De Bama à Samandini, le terrain est bien plat, bien uniforme. Les pieds de oro prennent une grande importance par endroits. Ce sont de véritables arbres avec de gros troncs présentant de fortes croûtes de liège cendré, profondément fendu dans le sens de la longueur. Les feuilles de certains individus atteignent de grandes dimensions ; une forme a les feuilles glaucescentes, l’autre les a franchement vertes. Les Karités sont communs. Leur écorce est presque toujours profondément fendue dans le sens de la longueur. Les plaques allongées qui en résultent sont elles-mêmes divisées en rectangles[88] par des échelons de bâtons transversaux, s’étendant seulement sur la longueur d’une plaque.
Le boy me montre un petit arbuste de 1 mètre de haut environ, appelé tomagny, dont les feuilles pilées se mangent dans le couscous. Je retrouve dans le lougan du village la Solanée de Bobo, qui croît, çà et là, au Sénégal et au Soudan. Les bambaras de Sono l’appellent sisé bansan. Les fruits sont d’un beau jaune[5]. Quelques baobabs existent dans le village. On met encore, pour assaisonner le couscous, les feuilles de gombadé, commun dans ce village.
A l’endroit où nous passons la Volta, elle est large de 8 à 10 mètres. Les bords en sont très escarpés et s’élèvent d’une dizaine de mètres au-dessus du niveau actuel de l’eau. Au milieu, le fleuve est profond de 2 ou 3 mètres. Le passage s’effectue sans difficultés, en bac, le cheval traversant à la nage. La Volta est ici remplie de caïmans. J’en fais rentrer plusieurs dans le lit du fleuve. Cette rivière est très poissonneuse. Les caïmans viennent jusqu’à l’endroit où passe le bac. Un porteur qui se baigne en voit un près de lui et retourne précipitamment sur le rivage. Nous campons dans la brousse au bord meme du fleuve. Je couche dehors. Le soir, de nombreux insectes viennent se faire prendre à la lampe. La nuit, une hyène vient rôder sur le bord du fleuve en face de nous.
Les rives du fleuve sont bordées de Cypéracées, de Graminées dont le pied baigne dans l’eau. Les bords, à pic, sont ombragés par de grands arbres, penchés la plupart vers le lit du fleuve et ordinairement enlacés par de grandes lianes. Ces arbres sont des bogos, Sterculiée à grandes feuilles ovales couvertes de pubescences. Je remarque aussi des buissons de crana, à fleurs blanches odorantes, la liane à pétiole ailé appelée bourou-mendé (Bobo-Dioulasso). Les autres plantes observées sont : le naforo-fila, Convolvulacée à grandes fleurs pourpres ; le tongou-cayogo, Cyperus commun dans les lougans ; la dama-téré,[89] à petite fleur jaune gluante ; le foutougou, la petite Orchidée à fleurs blanches ou roses, à gros éperon court, obtus, au sommet d’un jaune d’or pointillé de pourpre à l’intérieur. Le oulaman sognia (Bobo-Dioulasso) est la grande Orchidée rencontrée à Fincolo. Elle est maintenant en fruits ; ses feuilles sont la plupart épanouies.
J’observe aussi le tacca de Samandini en fleurs non épanouies et un Mimosa à feuilles doublement composées, à fleurs blanches en grappes rameuses dressées ; c’est le sama-néré. Le sol où croissent toutes ces plantes, au bord de la Volta, est un terrain argileux, blanchâtre. Les grandes Graminées desséchées y sont communes, les feux de brousse n’ayant pas été mis là.
Au soir, un habitant de Samandini apporte plusieurs gros champignons (Boletus) et des fruits de dama-téré pour faire du dolo. Dans la nuit une tornade survenant, nous oblige à rentrer dans la cahutte en paille construite par le dernier convoi de la colonne du Minianka.
On traverse plusieurs régions marécageuses avant d’atteindre Dandée et des espaces dénudés, étendus, véritables plaines où croissent des plantes bulbeuses : la Liliacée à grande hampe, à fleurs blanches, à fruits à trois lobes ; la Narcissée à fleurs blanches, qui paraît suivre les mouvements du soleil ; elle est tournée le matin vers l’Est. La Liliacée à grandes fleurs liliformes uniques, existe aussi dans cette région. Ces plantes paraissent avoir leurs stations préférées ; elles croissent rarement ensemble. Aussi, les plateaux, ou plutôt les plaines, sont-elles parfois couvertes entièrement, tantôt de l’une, tantôt de l’autre de ces plantes. A trois ou quatre kilomètres avant d’arriver à Dandela, nous traversons un marigot dont les abords sont verdoyants, très boisés. Le village de Dandela offre, dans les lougans, aux alentours, d’assez beaux arbres, surtout une Acanthacée vue à Bobo et à Sindou, quelques baobabs, des nétés, des finzans, très peu de sibis.
[90]A Dandée, je prends dans ma case une espèce de bousier d’une taille énorme. Les habitants sont des Bobos-Oulés. Ils paraissent fort pauvres, se livrent actuellement à la préparation de leurs lougans pendant que les moussos font sécher les fruits de sé au soleil. Les cases sont profondément creusées, carrées, couvertes en ban. L’étage inférieur est une vraie demeure souterraine ; l’étage supérieur, élevé de 1 m. 50 à 2 m. 50 seulement, est facile à atteindre et on peut se promener sur les toits d’un bout à l’autre du village. Dans quelques lougans ombragés, d’anciens pieds de mil ont fourni de belles repousses très vigoureuses.
9 juin. — Le campement de Koundougou est situé à côté du village, sous un gros banan. Dans une anfractuosité, du côté du nord, je trouve deux mousses fructifiées. Des cotonniers très beaux, à feuilles très velues, à fleurs jaunes, sont cultivés. Une grande partie du coton n’a pas été récoltée. Les soies ont environ 20 mm et sont très blanches. En soumettant ces cotonniers à une taille réglée, on obtiendrait d’excellents résultats. Les pieds actuels ont 1 m. 50 de haut et sont très rameux.
Le sol est riche en humus ; le sous-sol est ferrugineux. Une grande partie des terrains situés entre le massif montagneux de Fô et la Volta conviendrait très bien à la culture du coton (sauf les plateaux pierreux ou les cuvettes comblées avec des argiles). Il existe, sur la route de Koundougou à Dandée, des lieux boisés très riches en humus, inondés en partie au moment des pluies, où on obtiendra des résultats assurés. Le tabac à feuilles crépues est également très beau dans ces terrains. La récolte est faite en ce moment. Les troncs coupés ont encore 1 m. 50 de haut. La montagne commence à six kilomètres environ du passage difficile sur la gauche. Les lougans sont remplis de karités dont on récolte maintenant les fruits. Les fruits de torogoué sont aussi récoltés. Le sol est jonché de fruits de kounan. On ne les ramasse pas. Les beaux kounans ont un tronc de 1 à 2 mètres de circonférence, une hauteur de[91] 15 mètres ; l’écorce est cendrée, peu fendue. C’est un arbre à port élevé, d’une belle ampleur. L’Orchidée appelée foulougou près de Bobo-Dioulasso est commune dans les lieux herbeux non brûlés. L’aloès est également commun. Les pousses en végétation sont placées latéralement par rapport à la vieille tige desséchée.
Le massif montagneux de cette région est orienté du Sud au Nord, puis il dévie vers l’Est et se dirige ensuite de nouveau vers le Nord, formant deux collines espacées de 100 à 1.000 mètres, entre lesquelles est situé le chemin. La charpente du massif est formée de blocs éboulés et de roches en place constituées par des grès à grain assez fin, sans galets, ordinairement teintés de rouge, à surface plus ou moins corrodée par les eaux. Tout à fait au pied, on trouve de petits cailloutis issus de ces grès de quartz blanc laiteux ou teinté, ou blanc avec veinules noires. On trouve, au-dessus du grès compact, des grès plus tendres, alternant avec des lits peu épais de schistes gris ou blanchâtres facilement décomposables. Au-dessus de ces alternances, se trouvent les grès ayant la plus grande importance comme puissance. Ils sont, la plupart, rosés avec de gros grains de quartz et offrent des galets de diverses roches (notamment de grès rouge inférieur et de quartz). Ces galets sont ordinairement ovoïdes, bien roulés, de taille variable (d’une petite noisette à la grosseur de la tête). Des lits plus importants et placés presque horizontalement, alternent avec ce grès proprement dit ; ces lits sont alors d’une épaisseur de 50 centimètres à 1 mètre et formés de gros galets blanchâtres (quartz) et très corrodés. Des blocs énormes de cette dernière roche se sont détachés et éboulés. Le sentier qu’on suit pour arriver à Fô est lui-même taillé dans ce grès tendre. Sur la droite et la gauche, de puissantes murailles attestent toute la force énorme qu’il a fallu pour que les eaux se creusent ce passage à l’époque quaternaire, car il n’y a point de marigot, maintenant. Le poudingue supérieur de Fô est l’analogue du terrain constituant les roches de Sindou. Je serais tenté de considérer cette roche comme formée à l’époque quaternaire et produite aux dépens du grès inférieur rouge. Il y aurait eu[92] ainsi, en quelque sorte, nivellement de véritables massifs montagneux constitués par ces grès primaires, le poudingue se serait formé en même temps que se constituaient ailleurs, aux dépens de roches différentes, les plateaux ferrugineux dont on ne trouve pas de trace ici. Ce qui me porte à faire cette supposition, c’est que j’ai vu, par places, les poudingues chevauchant sur les grès et schistes, alternant et formant, à la manière de la roche ferrugineuse, de véritables coulées.
Les poudingues quaternaires de Fô (comme ceux de Sindou) ont subi ensuite et subissent encore une action destructive interne sous l’action des pluies et des tornades. Aussi la puissance de ce terrain, qui atteint jusqu’à 50 mètres de haut par endroits, est loin de son état primitif. Tout le vallon est semé de gros blocs qui ont roulé du haut ou qui, plus durs que les masses environnantes, ont mieux résisté à l’action des pluies. Tout ce terrain est malheureusement sans fossiles. La goïn (Landolphia Heudelotii) est assez commune, mais bien moins abondante que sur la même roche à Sindou. En somme, la goïn n’a pas de préférences pour le sol ferrugineux.
Le chef du village de Fô me dit que la poponi est commune aux alentours, mais qu’on n’a pas l’habitude d’en récolter le caoutchouc. Cependant, les quelques troncs que j’ai vus sont entièrement criblés d’incisions mal faites. Il y a peu de fruits dans ces lianes et ils ne sont pas mûrs. Le saba (Landolphia senegalensis) est plus commun ; il a les fleurs glabres. Dans la brousse, ses fruits commencent à mûrir. Depuis trois jours, j’en rencontre des fruits dont l’intérieur a été mangé par les caravanes de passage. Mes porteurs eux-mêmes, à chaque pose, s’empressent de grimper aux arbres où se montrent les tobis. En mangeant tous les fruits de la brousse (même le kounan dont le noyau est énorme), le noir en avale la totalité sauf la peau. Les autres fruits vus à Fô sont : la petite prune jaune (Ximenia americana L.) et le fruit gluant pour le dolo.
Sur les roches croît l’Euphorbe habituelle maintenant couverte de feuilles, et une autre Euphorbiacée vue ici pour la première fois. Il y a encore, dans cette région, quelques beaux finzans, des baobabs jeunes, d’autres assez âgés, déjà couverts[93] de fleurs et de jeunes fruits et offrant en même temps des boutons non épanouis et même peu avancés.
Je viens de faire une excursion dans la montagne environnante après la tornade survenue vers 4 heures. En escaladant les terrains formant parfois de véritables balcons ou des escaliers tournant autour de ces rocs, on parvient à leur sommet. On aperçoit, à une grande distance, le cirque de ces rocs. L’aspect en est plutôt tourmenté. On voit, de toutes parts, de vastes espaces gris absolument dénudés qui sont parfois des tables de pierres, ravinées, creusées d’anfractuosités, de fentes vives, de blocs, derniers survivants des rocs qui ont surmonté ces tables. Çà et là, des rochers subsistent encore et ont pris, sous l’action des eaux, des aspects extrêmement variés. Ce sont tantôt d’énormes prismes couronnés parfois de verdure, d’autres fois des pyramides noirâtres comme toute la roche (recouverte de croûtes de lichens), surmontées d’une masse blanche qui est un bloc de quartz plus dur qui a résisté davantage à l’action des eaux. D’autres fois, ce sont de longues murailles crénelées ou festonnées comme à Sindou, puis encore de grands espaces désolés où il n’y a rien comme végétation, mais où sont creusées, parfois, des cuvettes très peu profondes où l’eau s’accumule après les tornades. Ces rochers sont souvent creusés de grottes assez vastes, autrefois habitées si l’on en juge par les débris de charbons encore en place et par la richesse en humus de l’entrée de ces grottes qui aujourd’hui servent seulement de repaires à d’énormes chauves-souris.
La partie du village tournée vers le nord est longée par un bas-fonds qui sépare le village des rochers. Ce bas-fond est très riche en alluvions, aussi le terrain est-il partagé entre tous les habitants et cultivé par eux en jardin. Ces lopins de terre se touchent tous et sont sépares par des fossés profonds. Ces jardins sont en outre souvent limités par des palissades en tiges de mil. Ils ont quelquefois plus d’un are d’étendue. On y cultive des piments : gon, ngoyo, soso, etc. des plants de mil et de mais. Ils sont assez bien entretenus, et purgés des Cypéracées qui ne manquent pas de s’y développer si on les abandonne sans soins.
10, 11 et 12 juin. — Nous sommes partis de Fô à 4 heures 1/2 du matin. Au lever du soleil, vers 5 heures 3/4 nous sommes à côté d’une mare remplie de Graminées et de Cypéracées et bordée d’un champ planté en calebassiers. Les fruits mûrs sont jaunes et les tiges desséchées sont appliquées directement sur le sol. A la halte, vers 6 heures, nous traversons une ceinture de petites roches qui n’est que la continuation des rochers de Fô. Ces rochers sont rendus entièrement grisâtres par un lichen non développé. Il y a quelques mousses au pied. Les sanans et les dialas sont communs sur la route.
15 juin. — Nous partons à 6 heures. La route est assez monotone. Elle est occupée presque d’un bout à l’autre par d’anciens lougans où de maigres futaies ont repoussé. Çà et là seulement un nété, un sé ou un sanan à gros troncs dominent cette maigre végétation. Zamblara est entouré d’une tata. Les plants de doubalés ont repris au bord du chemin. Je remarque quelques cultures de Gossypium et d’Indigofera. Les bords de la route sont entièrement semés de fruits de douda et seulement de quelques karités. Je rencontre aussi, pour la première fois, le sié. L’Orchidée violette existe toujours ainsi que la petite Liliacée à fleur unique jaune. Je remarque quelques touffes seulement de Tacca. L’Aroïdée à fruits souterrains est commune. Au bord du chemin se trouvent plusieurs termitières coniques à nombreux clochetons ayant jusqu’à 4 et 5 mètres de haut. Elles sont éventrées ; l’intérieur est creux. La paroi en terre durcie a seulement 20 ou 30 centimètres d’épaisseur ; elle est très dure, difficile à démolir. De telles constructions doivent avoir des siècles d’existence. Hier, le lieutenant me faisait remarquer qu’on ne trouvait jamais de termitières de cette forme en voie de construction. Les insectes qui y sont actuellement logés seraient cantonnés seulement sur le sol de l’intérieur de la cavité. On ne[95] remarque même pas de galeries montant à l’intérieur et à l’extérieur du dôme. Les galeries, s’il y en a, sont enfermées dans les murs proprement dits.
A Zamblara, il existe une case carrée (murs de 1 mètre 80 de haut) non couverte, remplie de tessons de calebasses. C’est la case grigri du dehors du village. Il y en avait une identique hier à Kaledougou.
Le campement à Tiédiana est très confortable, installé à l’ombre de magnifiques baobabs, actuellement en pleine floraison et dont quelques-uns ont une quinzaine de mètres de circonférence au tronc. Ces troncs présentent les aspects les plus variés ; les uns ont des contreforts à la base, analogues aux piliers des fromagers, les autres sont couverts de verrues de dimensions variables ; quelques-uns présentent des sortes de chancres sur leurs troncs ; beaucoup sont munis d’échelons enfoncés dans l’arbre et qui permettent aux habitants d’aller récolter les feuilles qui constituent ici la base de la sauce du couscous.
C’est aujourd’hui jour de marché. Il se tient sous un arbre en dehors du village. J’y remarque une certaine quantité de petit mil et de gros mil blanc, beaucoup de belles arachides. C’est la partie principale des produits apportés au marché. Elles se vendent 0 fr. 50 les 5 litres. L’arachide paraît réussir merveilleusement dans les territoires que j’ai parcourus depuis Bobo. Les jeunes pieds qui, dans beaucoup de lougans, commencent à fleurir, sont très vigoureux. A cette époque avancée de l’année où le mil fait défaut dans un grand nombre de villages après les semailles, on trouve encore à un prix raisonnable des arachides. Les autres produits observés sont : des feuilles de tabac en paquets, des graines de nété, des feuilles de da, des piments frais n’appartenant pas au petit foroto habituel, des calebasses de kounanguis, deux grands paniers de tubercules de diabéré (courouba), des fruits de saba (4 pour 5 cories) et de douda, des pois secs de soso, des tiga ni gouélé, des fibres de sibi pour raccommoder des calebasses (le raccommodeur travaille sur le marché), des poissons secs, quelques poulets, quelques écheveaux de laine, coloriés en rouge, venant de Bandiagou.
[96]Dans les jardins, il y a en ce moment de jeunes pieds de n’goyo, de vieux troncs de tabac, quelques gans, un arbuste d’introduction européenne, couvert de fleurs et de fruits. Des ricins, en quantité, lèvent dans une partie inculte. Dans le village, je remarque quelques pieds de doubalés. Autour du village, la culture du manioc occupe une assez grande superficie. Presque partout, les terrains sont plantés de manioc et de rangs de tigani. Le mil est levé. Le village paraît riche. On apporte des œufs, du lait, des poulets en abondance. Les habitants mangent ici le baliman. Je trouve un petit bois où on en a déterré récemment une grande quantité. Diverses Ampélidées existent ici et commencent à pousser. Enfin, je trouve deux espèces de Dioscorées sauvages comestibles : le niambi ou diambi ou niami à longs rameaux latéraux étalés horizontalement, le fassaca à grandes feuilles, à rameaux latéraux courts. L’Aroïdée à fleurs souterraines est commune sous les arbres ainsi que le Tacca[6] qu’on ne récolte pas.
Dans l’intérieur du village, il y a plusieurs petites cases gris-gris fétiches. L’une d’elles sert à remiser les gris-gris du chef de village, liés avec une corde et suspendus dans l’espace. Une autre sert à trouver une femme pour le mariage.
Le garçon qui veut se marier vient, le soir, verser, dans la case à toit conique, par le sommet (recouvert en temps ordinaire par une calebasse renversée mais qui peut être retournée) du couscous ou du riz et s’en retourne persuadé que l’obtention d’une femme est ensuite chose facile.
Fig. 5. — Un Pterocarpus erinaceus au Soudan français.
Djenné est occupé par les Français depuis le 3 janvier 1893. La population de cette ville est très industrieuse et très[97] intelligente. Les Diénékés étaient sous la domination des Toucouleurs. Le nombre des habitants est actuellement de dix mille. Ils sont très soumis, pacifiés et ils payent régulièrement l’impôt, surtout en cories. Djenné est la plus belle ville de tout le Soudan français. Toutes les constructions sont en terre, mais elles sont larges, spacieuses. Les maisons sont carrées ; elles ont presque toutes un étage (quelques-unes en ont deux) et possèdent des promenoirs en terrasse en dessus avec une sorte de parapet en terre. Ces maisons s’élèvent de 10 à 15 mètres au-dessus du sol. Quelques-unes ont le rez-de chaussée à 1 mètre au-dessous du niveau du sol. Les fenêtres sont rectangulaires. Il existe parfois (notamment au poste) de véritables cloîtres promenoirs cintrés au premier étage, où l’on est à l’abri du soleil une grande partie de la journée. Le poste est large, spacieux, extrêmement confortable[98] avec de vastes bâtiments offrant une véritable architecture. Je remarque la salle à manger avec ses décorations en terre, ses niches destinées à recevoir de grands cierges en cire, placés dans des boîtes en fer-blanc.
Le palais du roi toucouleur Ahmadou est occupé aujourd’hui par les bureaux du cercle. J’ai visité également la maison où habita René Caillié ; la maison des passagers est extrêmement confortable. Dans la ville, il faut visiter le marché et la place qui précède le poste, plantée de nombreux doubalés déjà vigoureux, les ruines de l’ancienne mosquée, la mosquée actuelle, le cimetière européen récent où l’on voit une dizaines de tombes. Il est entouré de hauts murs ; les allées en sont bordées de bouteilles. Un monument élevé au centre porte les mots : Honneur et Patrie. Les tombes sont des tables en terre durcie avec une croix médiane couchée et une petite croix en fer à la tête. Les cimetières indigènes forment de petits groupes de quelques tombes dont les unes sont entourées d’un mur en terre peu élevé. Ces cimetières sont éparpillés dans la ville et tout autour sur les petits mamelons qui ne sont pas atteints par les eaux au moment de l’hivernage. On observe sur ces tombes des sortes de vases funéraires ayant la forme d’un tube un peu évasé au sommet. Elles sont munies d’ornements et s’élèvent à une hauteur de 40 à 50 centimètres au-dessus du sol.
Nous arrivons à Dendé à 11 heures. C’est un village habité par des bozos, des peulhs et quelques diénonkès. De magnifiques troupeaux de vaches pâturent au bord du fleuve. Le village (en terre) a été détruit ; il n’y a plus que des cases toucouleurs. Le cotonnier pousse en abondance autour du village. Les touffes arborescentes, très rameuses dès la base, atteignent 2 mètres de haut. Elles sont complètement vivaces. Sur le même pied, j’ai remarqué des fleurs jaunes et des fleurs pourprées. Les fleurs pourprées paraissent les plus âgées.[99] On trouve aussi en assez grande quantité autour du village des indigotiers à feuilles un peu argentées et à fleurs verdâtres. Les arbres donnant de l’ombrage qui existent dans le village, sont des nongos, des tongoués, des cobos.
Ce village situé sur la rivière est formé de cases en terre et habité par des bozos. Il est sur une plate-forme élevée de 4 à 5 mètres au-dessus de la plaine environnante qui doit être inondée pendant l’hivernage. Je remarque quelques beaux arbres : le nogo, le nonno, le sebé, le cobo, le toro. La plaine est couverte de quelques Graminées à rhizome rampant et de quelques Cyperus. La Composée à disque jaune est abondante dans cette région qui est très herbeuse. Au bord du fleuve, un peu en aval, existe un petit mamelon sur lequel je remarque quelques beaux arbres avec de nombreux arbustes et des lianes. L’ensemble forme un buisson assez épais où se reposent un grand nombre d’oiseaux : une compagnie de perdrix ; des gendarmes, de la grosseur d’un moineau et dont le plumage est jaune sur le corps et noir sur la tête ; des pigeons de Djenné au plumage cendré. Ce pigeon est très commun à Djenné ; il niche dans la ville et dans les villages situés le long du Bani. Les palmiers sébé sont en ce moment couverts de régimes dont les fruits ne sont pas mûrs. Je remarque aussi un jeune pied de djemeni. Beaucoup de fruits de sébé sont mûrs. Le bosquet bordant le Bani sert de cimetière. Il y a quelques tombes récentes de bosos entourées de piquets.
ENVIRONS DE TOMBOUCTOU ET RÉGION DES LACS DU NIGER MOYEN
Marigot de Day. — Le marigot de Cabara s’étend jusqu’à Tombouctou pendant les grands hivernages. L’eau n’est pas venue sous cette ville depuis la prise, en 1894. En temps habituel, on redoute ces inondations qui entravent toute communication entre Tombouctou et Cabarah, mais actuellement on en désire une parce que l’eau va manquer à Tombouctou.
Les mares de Tombouctou. — Ces mares sont formées par un niveau d’eau sous une couche d’argile. La couche de sable qui recouvre l’argile se trouve imprégnée d’eau sur une hauteur qui varie avec la hauteur de l’eau dans le fleuve et dans les marigots qui communiquent avec lui. Actuellement, il faut descendre de 10 à 15 mètres au-dessous du niveau du sol de la ville, dans les mares pour y puiser de l’eau et encore, tous les soirs, le fond des flaques est presque à sec. Dans la nuit, l’eau s’accumule de nouveau dans ces flaques par suite des suintements qui se produisent sur les parois du sable. L’eau des mares est très sale le soir, les indigènes étant venus y puiser, s’y laver et même s’y baigner pendant toute la journée. Le matin, elle est assez limpide car elle a eu le temps de se déposer dans la nuit. Toutes ces mares sont remplies d’une végétation aquatique. On y trouve diverses algues bleues et surtout vertes (Confervacées, Spirogyres, etc.). L’eau est actuellement colorée en vert, probablement par les spores de ces algues. On trouve dans toutes les mares une Lemna qui ressemble au L. minor par son thalle, mais elle est dépourvue[101] de racines. Il n’y a pas de Pistia dans ces mares ; par contre on y trouve beaucoup de Graminées et de Cypéracées, et en abondance les deux espèces de Jussiæa déjà récoltées.
Faune des mares de Tombouctou. — Quelques insectes aquatiques vivent dans l’eau dormante ainsi qu’une espèce de grenouille ou crapaud. On y trouve aussi un poisson siluridé, à grosse tête couverte de grandes écailles osseuses, à bouche entourée de barbillons allongés. Certaines années, on y a vu des caïmans atteignant jusqu’à 1 mètre de longueur. Ils avaient été apportés évidemment par l’inondation. D’après les photographies prises par F. Dubois à son passage à Tombouctou, l’eau paraissait venir jusqu’au niveau du sol à cette époque. Il faut, aujourd’hui, descendre de 5 ou 6 mètres pour aller y puiser.
Les principales mares sont : celles des Spahis dont l’eau est assez claire ; la mare du jardin du poste ; la mare du jardin des Pères Blancs ; la mare située derrière la grande mosquée ; la mare de l’Est ; enfin les mares appartenant aux indigènes. Autour de ces mares on cultive : le da, le gombo, le cotonnier, le tabac, l’indigotier, une espèce de menthe[7].
Il n’y a qu’une quinzaine de pluies par an. La plus abondante a lieu vers le 15 août. On en a parfois vu de plus longues.
Les indigènes se souviennent avoir vu plusieurs fois de la glace à Tombouctou. Les chutes de grêle sont assez fréquentes. M. Vidal en a observé une très abondante et dont les grêlons avaient la grosseur d’un œuf de poule. On put en recueillir, au poste, une assez grande quantité pour faire des boissons à la glace. La température est fraîche pendant les[102] mois de novembre, décembre, janvier. On a vu des moyennes de 12° pour une journée. Fréquemment le thermomètre descend, le matin, à 6°. C’est l’époque de la plus grande mortalité, même pour les européens. En juin, juillet, août, la température est très chaude ; cependant il y a toujours du vent. Souvent le thermomètre dépasse 35° à l’ombre au milieu de la journée, entre 10 heures et 4 heures. Le ciel est bleu grisâtre une grande partie de l’année. Du 15 au 30 juillet, il est presque toujours nuageux, et son aspect est celui des ciels du Nord de la France.
Tornades sèches. — Elles sont très fréquentes à cette époque de l’année. Il y en a presque tous les jours. Elles apparaissent, en général, à la tombée de la nuit entre 6 heures et 8 heures. Les éclairs sont fréquents. A l’horizon, ce sont des éclairs de chaleur, et entre les nuages noirâtres des éclairs en zig-zags. Ces tornades viennent ordinairement de l’Est, parfois du Nord ou de l’Ouest, très souvent du Sud. Lorsqu’elles se produisent, les sables sont chassés avec une grande violence ; le ciel s’obscurcit et prend une teinte rougeâtre ; le sable s’accumule en gros tas généralement vers l’Est. Cette tornade sèche dure habituellement vingt minutes, mais peut durer deux heures.
Tornades humides. — Pendant une tornade sèche il ne pleut, pour ainsi dire pas. On a vu cependant des tornades d’une grande violence ; l’une, en 1897, donna 65 millimètres de pluie et dura plusieurs heures, l’eau tombant à torrents. Il y a environ vingt tornades de pluies par an, réparties entre les mois de juillet, août, septembre, donnant en moyenne 50 centimètres d’eau par an et 22 millimètres par tornade. Le petit hiver est marqué en janvier par la grande fraîcheur qui revient certains jours où le soleil reste caché toute la journée. Il peut aussi tomber quelques petites pluies insignifiantes durant cet hivernage. Pendant le grand hivernage, en outre des vingt grandes tornades dont il a été parlé, il tombe aussi, à la suite d’une partie des tornades sèches, quelques gouttes de pluie, trop faibles pour être enregistrées au pluviomètre. Ce n’est qu’au moment des grandes[103] pluies que l’eau ruisselle un peu ; mais elle est bientôt absorbée par les sables. A Cabarah, et le long du fleuve, il tombe une plus grande quantité d’eau.
Terrains. — Du sable, des alluvions argilo-humiques dans la vallée du Niger, et c’est tout. Les pierres sont très rares à Tombouctou ; je n’ai pas pu en trouver pour sécher mes plantes. Celles qui servent de meules ou pierres à foyers ont été apportées. Dans les sables j’ai trouvé de petites concrétions calco-siliceuses paraissant de formation récente. Les sables de Tombouctou sont remaniés constamment, les dunes se déplaçant là où elles ne sont pas fixées par les arbustes épineux et les Graminées. Ces sables sont blanchâtres, très fins. Soulevés en nuages dans l’air, ils ont un aspect rougeâtre. Tombouctou ne paraît pas avoir été toujours renfermé dans des dunes de sables.
On trouve dans les mares, à 10 ou 15 mètres de profondeur au-dessus du niveau moyen des dunes, une couche argileuse de terre blanchâtre, brune, liante, très fertile. C’est le niveau d’eau de Tombouctou. Cette terre paraît être due aux alluvions du Niger qui s’étendait jusque là autrefois. Les abords du Niger, vers Kourioumé et Day, sont entravés d’épaisses couches alluvionnaires dans lesquelles les indigènes vont tailler la terre grasse qui sert à fabriquer le ciment de Tombouctou. C’est dans ce terrain que le bras du marigot de Day s’est creusé un lit. Au delà de Kabarah, ces lits ne roulent plus que sur le sable meuble ; il n’y a pas trace d’alluvions dans les tranchées où les eaux se répandront dans quelque temps pour venir à Tombouctou. Les sables de Tombouctou n’étant pas stables, on n’y trouve pas de fossiles ; on rencontre seulement, aux abords de la ville, une grande quantité de débris d’os et de poteries, mais tout cela est très récent. Les os, sur le sable, possèdent une blancheur éclatante. J’ai trouvé, derrière le fort Bonnier, une petite coquille tertiaire à la surface du sable qui n’était évidemment pas en[104] place. Enfin les indigènes m’ont dit qu’avant l’arrivée des Français, au lieu d’aller chercher la terre glaise pour bâtir les habitations du côté de Dayet Kouriouné, on la prenait à Kabarah. On creusait des puits (dont je n’ai pas vu trace) et, avant d’arriver à la couche argileuse, on trouvait un lit de sable plus compact qui était rempli de coquilles admirablement conservées. On voit encore des coquilles semblables chez les indigènes de Tombouctou. Ils les emploient pour faire des colliers. Je m’en suis procuré 300 à raison de 600 cauries (25 pour un sou). D’après mon boy, Sidi Diallo, le sable, à la surface du sol, est jonché de coquilles. Le R. P. Dupuis possède une collection de coquilles tertiaires qui viennent du versant ouest du lac Horo.
De Djindjin à Goundam il y a seulement 15 ou 16 kilomètres. Peu après notre départ, l’aspect du paysage change. Les arbustes sont plus verts. Des terrains dénudés, un peu argileux, remplacent les dunes de sables mobiles. Ce sol est recouvert presque entièrement d’une courte végétation parmi laquelle domine une Graminée. La petite plante à feuilles composées et à fleurs jaunes est aussi commune. J’ai trouvé également un Tradescantia. Les terrains couverts de débris divers attestent la fréquence des campements ou emplacements d’anciens villages. A l’approche de Goundam, on trouve des graviers ferrugineux éparpillés sur le sable, puis des blocs d’une sorte de grès rouge. Tout près de Goundam une couche argileuse retient des eaux boueuses dans une légère dépression. Les arbres de la brousse sont toujours les mêmes qu’à Tombouctou, mais ils ont généralement une plus belle taille et un aspect moins rachitique.
La montagne plus au nord s’appelle simplement Bancor. Les habitants de Goundam la nomment Bankorré, à proximité[105] du village. Elle est située à 3 kilomètres au nord de Goundam et orientée du Sud au Nord. Son élévation est de 150 mètres environ au-dessus de la plaine sablonneuse couverte de dunes. Elle présente, vers l’Ouest, une échancrure près de laquelle se trouve le sommet. Le front de la colline, vers Goundam, se termine assez brusquement en falaise d’une largeur de 2 kilomètres environ. La pente en est assez raide, quoique interrompue par deux seuils à déclivité douce : l’un au pied de la colline, l’autre au sommet. Ce sommet est un plateau qui s’étend à perte de vue dans la direction du Nord, accidenté seulement, çà et là, par de gros blocs de grès. Vu de Goundam, le front de la montagne paraît dénudé, rougeâtre, semé seulement de petits buissons espacés, arrondis. Quand on arrive au pied, on voit que l’aspect rougeâtre est produit par un enchevêtrement de blocs de grès éboulés à angles tranchants, enchevêtrés sans ordre sur les flancs de la montagne et en rendant l’ascension pénible. Ces blocs qui ont ordinairement une grosseur double ou triple de la tête et qui atteignent quelquefois un volume de plusieurs mètres cubes, sont formés de grès compacts, durs, à grain fin sans galets, blancs ou veinés de rouge, parfois assez micacés. On n’y voit pas trace de fossiles, mais c’est un terrain probablement de même âge que les grès de Bammako. Parfois il s’y trouve, en outre, des paillettes d’un petit minéral noir qui donnent aux blocs l’aspect granitique. Nulle part je n’ai vu la roche en place. Il existe, autour de Goundam, des blocs de cette roche qui sont éboulés plus bas encore, par exemple ceux qui remplissent le fond du lit, visible à la saison sèche, du marigot de Goundam.
Au moment des grandes pluies, les eaux du marigot vont battre les pieds de la montagne, car j’ai trouvé là, en grande quantité, les coquilles nacrées d’un petit bivalve. Les buissons qui croissent sur les flancs de la colline sont des berré (Euphorbes) et des Albarcantegna (Commiphora africana Endl.). Les hiro, quoique très communs au pied, ne croissent pas sur les flancs. Les autres arbustes qu’on rencontre sur les flancs sont le querné, Capparis à fleur jaune, assez commun ;[106] l’ashou ouar, Capparis à fleur jaune-vert, et l’ashou oueil, Capparis stérile, ces deux derniers peu communs ; le deligna, Acacia Senegal Willd. en pleine floraison, mais peu abondant ; l’Acacia Trentiniani, très voisin du précédent ; le mar doungouri, Cléome à belles fleurs jaunes.
On remarque encore, parmi les blocs, le bolla (Boucerosia tombuctuensis), Asclépiadée cactiforme en pleine floraison. Une petite plante, à fleurs jaunes et à feuilles trifoliolées, est très commune. Elle descend au pied de la montagne ainsi que 4 ou 5 Graminées très caractéristiques.
Du haut de la colline on jouit d’un magnifique panorama : au Sud, la plaine de Goundam et plus loin d’autres montagnes ; à l’Ouest, les montagnes et la trouée du Faguibine ; enfin, au Nord, le plateau très boisé et verdoyant qui s’étend aussi loin que la vue peut porter.
A Goundam, la végétation est en avance sur celle de Tombouctou. Cela tient certainement à la plus grande abondance de pluies tombées ici. Les kramkrams, dont les épis sont rares à Tombouctou, entrent ici en pleine floraison. Plusieurs autres plantes, dont je n’avais vu à Tombouctou que de vieux pieds de l’année dernière ou des germinations ou même de jeunes pieds levés aux premières pluies et desséchés ensuite, existent à Goundam en pleine floraison et en pleine végétation.
13 août. — A 4 ou 6 kilomètres de Goundam, on trouve l’emplacement de jardins de cultures qui avaient été choisis par le commandant du poste pour en faire une station d’essai. De très beaux cotonniers croissent à l’entrée du Télé. On traverse son lit dans toute sa longueur. Nos chevaux ont de l’herbe (bourgou ?) jusqu’au poitrail.
D’après les indigènes, le bourgou se recueille sur les bords du marigot de Goundam et sert à l’alimentation du bétail pendant une grande partie de l’année. Le Télé est complètement à sec en ce moment. Par places, on aperçoit de hautes végétations très verdoyantes et des prairies de hautes Graminées fourragères, puis on retombe sur des dunes littéralement couvertes de longues tiges de l’Ipomaea asarifolia Roem. et[107] Schult. à larges corolles pourpres. On arrive au village de Fatatiama fort avant dans la nuit, après avoir traversé un terrain couvert de débris de rochers et de gros galets anguleux de grès blancs-rougeâtres. Le sol est entièrement couvert de ces blocs de pierre, aussi la traversée est-elle des plus difficiles. Par places, dans le lit du Télé, on voit des terres à riz préparées pour l’ensemencement. Il se fait deux récoltes par an. La première (blé ou mil) après le retrait des eaux ; la deuxième (riz), pendant l’inondation, c’est-à-dire de septembre à décembre.
C’est un gros village, en grande partie détruit. Les murs des cases sont en pierre et la maçonnerie en est grossière. Le village est situé sur une petite falaise rocailleuse au bord du lac. Durant la nuit, une petite tornade survient. Il ne pleut pas beaucoup, mais l’eau tombe davantage vers le Nord où nous passerons demain.
14 août. — Au sortir de Fatakama, et jusqu’à Alfao (18 kilomètres), nous marchons constamment dans le lit du Télé maintenant complètement à sec. Le fond en est sablonneux ; par places, un peu humide. C’est là qu’il y a de très belles plantations de coton, gros mil, petit mil, maïs. Dans les sables, on voit de petites coquilles nacrées, très communes aussi sur les bords du Faguibine. Le fond sablonneux du Télé est couvert de Talala (Ipomaea asarifolia Rœm. et Schult.) qui forment réellement le fond de la végétation ; leurs belles fleurs rouges émaillent tout le vallon. Sur les rochers qui forment des falaises pittoresques s’élèvent de très nombreuses touffes de berré et d’Acacia.
En arrivant à Alfao nous pénétrons sur les dunes sablonneuses assez élevées, semées de horré et de Salvadora. J’ai remarqué, sur la route, trois champignons fréquents qui ont du se développer après la pluie de la veille (une Agaricinée, une Lycoperdiacée, enfin le Podoxon Chevalieri qui est très abondant).
Nous marchons constamment dans les dunes sur une longueur de 28 kilomètres environ. Les dunes sont parfois coupées de masses rocheuses formées de grès rougeâtres à gros grains quartzeux et de sables micacés. Elles m’ont semblé contenir aussi de petites paillettes d’or ; toutefois, je n’oserais affirmer que ce ne sont pas des parcelles de mica plus vivement colorées qui m’ont fait croire à la présence de l’or. Les berrés croissent en abondance sur ces terrains ; leur odeur résineuse est assez pénétrante pour que l’un de nous en soit incommodé.
Partis à 4 heures du soir de Alfao, vers 9 heures 1/2, nous arrivons au bord du Faguibine, dans une vaste plaine de sable absolument nue. Rien n’y pousse. On entend de temps en temps les cris des chacals ; dans le lac croassent des grenouilles. Nos chevaux enfoncent parfois jusqu’au jarret dans ce sable sur lequel croît seulement après les pluies le Podoxon Chevalieri.
15 août. — Arrivée à N’Bouna. — Tous les notables et le chef Baba viennent nous saluer. Des paillotes en nattes constituent ce village dont les rues sont spacieuses. A l’hivernage, le village est envahi par les eaux. Les habitants vont dans les dunes, plus loin, emportant leurs paillettes et reviennent ensuite. Les bords du Faguibine sont couverts de niébés, de mil, de cotonniers, d’indigotiers. Ces cultures forment au village même une étroite bordure qui a à peine 10 mètres de largeur. Vu de N’Bouna, l’aspect de ce grand lac, inondé de lumière, enveloppé de toutes parts par la ceinture éblouissante des sables, est vraiment imposant et grandiose. On aperçoit de là l’île de Taguilem avec son massif montueux élevé d’une trentaine de mètres. En face de nous se trouve une autre petite île plate, qui, ensemencée en riz, sera bientôt recouverte par les eaux. Le Faguibine nourrit de très beaux poissons. Il renferme aussi des caïmans, mais les indigènes[109] affirment qu’ils sont tous de petite taille. De nombreux bancs d’oiseaux vivent constamment sur le rivage.
16 août. — Cultures. — Les six plantes qui sont cultivées à N’Bouna en ce moment sont : le cotonnier, le riz, les niébés, l’Hibiscus Sabdariffa L., le sésame, le gros mil et le petit mil. Il paraît qu’en quelques endroits on cultive aussi un peu de maïs, du tabac, des melons, des pastèques, des concombres et des courges. La flore est peu riche : c’est celle des bords du Niger et du marigot de Goundam. Le lac est entouré de vastes plages sableuses, nues. A 50 mètres du bord se trouve une pelouse fine, pâturée par des ânes ; elle est formée du gazon court vu à Goundam, composé surtout de Cynodon dactylon L. (chiendent) et de la petite Cypéracée vivace, à tubercule odorant de Bourem. Le sable des bords du fleuve, sur une épaisseur de 2 à 3 centimètres, est coloré en vert par une algue qui donne la même coloration à l’eau du lac. Je n’ai pas vu de plantes aquatiques dans l’intérieur du lac, pas même de bourgou. Sur la plage on trouve beaucoup de poissons morts, spécialement des Siluridés, et un poisson plat dont la forme générale rappelle celle de la raie. Souvent leurs cadavres sont entassés dans de petites cuvettes, où l’eau a sans doute persisté plus longtemps, et où elle a fini par s’assécher.
Les oiseaux les plus fréquents que nous apercevons sont des grues, des oiseaux trompettes, des vanneaux. La petite coquille blanche est toujours commune sur les bords ainsi que des anodontes et quelques autres bivalves. Quelques pélicans prennent leurs ébats dans le milieu du lac.
AB. Lac Faguibine. Les eaux du bord venant constamment laver les sables de la plage sont toujours boueuses.
[110]BC. Écume blanche à la limite des eaux.
CD. Zone sablonno-vaseuse, sans végétation, récemment découverte par les eaux. La surface est encore humide et enfonce sous les pieds. Les noirs qui y travaillent ont les pieds enfoncés dans la vase, de la cheville jusqu’à la cuisse. C’est dans cette zone qu’on plante en ce moment le riz venu en pépinière en EF.
DE. Zone sans végétation, à surface couverte de plaques vaseuses, desséchées, fendues et séparées les unes des autres en plaques épaisses de un centimètre environ. Au-dessous de cette couche complètement desséchée et aride, on trouve un sol humide retenant beaucoup l’eau et très riche. C’est un sol sablonno-argilo-humique, retenant l’humidité grâce à la forte proportion d’humus qu’il contient. Il est de couleur rouge grisâtre, avec de larges plaques noires fétides (humus) quand on coupe le sol. Les pieds de riz, développés exceptionnellement dans ce terrain, y sont très beaux ; les pieds de mil, au contraire, sont à feuilles jaunes et malades, la dessiccation du marais ayant été faite trop vite. C’est ce sol exceptionnellement riche qui convient à la culture du blé au moment des hautes eaux.
EF. Champs de mil plantés à demeure et pépinières denses de pieds de riz qu’on arrache à cette époque, pour les planter à la limite des eaux. Le sol argilo-humique est déjà moins riche que celui de la zone précédente. Sous une faible épaisseur de terre, 1 ou 2 centimètres, la terre est encore humide et mêlée de taches noirâtres. La surface du sol est souvent recouverte de coquilles de Cérithes semées à la surface du sol, surtout dans les endroits où on a fait des trous pour semer le mil. Il y a de deux à cinq pieds de mil par trous distants de 50 à 70 centimètres. Ils sont assez jeunes ; quelques-uns commencent à laisser sortir les épis. Le riz est très verdoyant. Les touffes sont serrées. Il a été semé à la volée.
GH. Terres de moins en moins riches et de moins en moins humides ; le sol est maintenant presque sablonneux. On y cultive encore du mil, des pastèques, de l’indigotier, des melons, des niébés. Il n’y a plus de riz. Les trous creusés de[111] 50 centimètres de profondeur contiennent de l’eau ; c’est le niveau d’eau du lac. La végétation cultivée commence à souffrir de la sécheresse.
HI. Petite pelouse de gazons verdoyants, courts, serrés, broutés par les troupeaux. La végétation est constituée par un petit Cyperus à tubercules et par la petite Graminée vivace trouvée sur les bords du marigot à Goundam. Ces deux plantes ont les racines traçantes, ce qui explique qu’elles restent très fraîches. D’ailleurs le sol est encore humide à une très faible profondeur.
IK. Premières dunes de sable. Le sol est encore complètement nu. Il n’y a pas trace de végétation arborescente. On y voit seulement quelques touffes de Talala. Le sol, dans cette zone, contient un grand nombre de coquilles trivalves nacrées. Beaucoup sont brisées. Quelques-unes sont encore recouvertes de la couche noire extérieure.
KL. Deuxième zone de dunes. Le sol est couvert de buissons de hiro. Il n’y a presque pas trace de végétation herbacée. Ce sable est jonché de petites coquilles de trois espèces (dont la cérithe).
LM. 3o zone des dunes. C’est la flore désertique principalement. Les Mimosas alternent avec les hiros. Le sol est mêlé souvent de débris de coquilles nacrées, trivalves de la zone IK. Les sables sont mobiles. Ils conservent plusieurs jours, quand il n’y a pas de tornades, l’empreinte des pas des animaux. La zone fertile cultivable AI a une épaisseur variable de 1 à 2 kilomètres. A N’Bouna, elle est bien plus étroite puisqu’elle n’a plus que quelques mètres d’étendue.
AB. Bords du lac.
BC. Rizière ; riz semé en place (terrain humide).
CD. Cultures de niébés, mil, cotonnier, sol presque inerte ; sables mêlés d’un peu de limons.
DE. Dune nue, sur laquelle est bâtie N’Bouna. Le village[112] est recouvert d’eau pendant les hautes eaux. Les habitants se retirent dans la deuxième dune.
EF. Dunes boisées où croissent les hiros et les Mimosas.
AB. Eau.
BC. Écume boueuse des bords.
CD. Plage de sable nue, jonchée de poissons morts. Le sable est sec sur une épaisseur de 1 à 2 centimètres. Au-dessus on trouve une couche limoneuse, épaisse de 1 à 2 centimètres, colorée en vert par une algue microscopique qui s’y trouve en abondance.
DE. Petit pré, de gazon court, large de 5 à 10 mètres (et Graminée de Goundam).
EF. Sables nus ou couverts de quelques touffes de talala.
FG. Dunes avec touffes de hiros et de Mimosas.
Ras-el-Mâ est situé en plein désert, loin de tout village. Le plus rapproché est N’Bouna qui se trouve à 50 kilomètres. Il y a des campements plus près. Le poste se trouve actuellement à 8 kilomètres du Faguibine. Au moment de sa création (début de 1895), le poste était situé au bord même du lac. Depuis cette époque, le Faguibine n’a presque pas monté aux hivernages. Il se dessèche de plus en plus et ses eaux sont croupissantes. Les caravanes sont obligées de venir à proximité des routes pour faire boire leurs troupeaux. Les indigènes disent que, dix ans avant la dernière inondation, il y eut déjà une grande crue. En dehors de ces deux inondations, la génération actuelle ne se souvient pas d’en avoir jamais vu des traces aussi importantes. Tout, dans les environs du poste, porte les empreintes de l’inondation de 1895. Le poste est situé à la limite des derniers arbres de la brousse. De là au lac s’étend une vaste plaine nue, couverte seulement de maigres végétaux herbacés. Cette plaine est jalonnée de troncs secs, décortiqués, d’Acacias et d’autres arbres qui ont été tués[113] par l’inondation de 1895. Ces troncs sont en général assez bien conservés, les termites n’existant pas dans le pays. Certains de ces troncs ont jusqu’à 1 mètre de circonférence. A l’entrée du poste, existe une légère dépression dans laquelle passait l’eau du lac et où l’on pouvait se baigner. Il n’y a pas d’eau maintenant autre que celle des puits des environs.
La végétation est très peu avancée. Les bissos (Acacia arabica Willd), sont presque les seuls végétaux ligneux que l’on trouve dans cette région.
Les Foulfoulbés et Toucouleurs appellent cet arbre gaoudi. Diallo me raconte qu’on recueille également une gomme pour la vendre, mais qu’elle est bien moins bonne que celle de l’Acacia Verek que les Foulfoulbés appellent patouki. La gomme de gaoudi pour eux s’appelle griaqué. Ces bissos sont en général de belle taille. Les exemplaires dont le tronc dépasse la grosseur de la cuisse sont fréquents. Ils atteignent de 5 à 8 mètres de hauteur. Leurs branches sont souvent couvertes de la Loranthacée commune. J’ai encore remarqué quelques pieds de Balanites en fruits et quelques touffes du Verek. La végétation est moins avancée qu’à Tombouctou ; ainsi les bissos en fleurs sont actuellement très rares ici.
Les dunes sablonneuses sont constituées par des sables mobiles, couverts de rides, qui s’accumulent par endroits et enterrent presque complètement les plantes ou bien qui disparaissent, çà et là, mettant les racines des arbres à nu. Le poste menace à chaque instant d’être englouti sous les sables. Ceux-ci s’accumulent constamment au pied des cases. Il faut débarrasser la cour très souvent. Jeudi soir, une tornade assez forte avec pluie abondante s’abat. Le matin toute la végétation est poudreuse. Les pieds des bissos sont couverts de coussinets verts-noirâtres de Vaucheries terrestres. Des champignons polypores se sont développés au pied des troncs coupés des arbres.
Ces puits sont situés à 1.500 mètres environ à l’ouest du Poste dans la direction du lac. Il en existe un assez grand[114] nombre sans compter ceux qui se sont éboulés. On est obligé de les creuser constamment, les sables venant sans cesse s’y accumuler et menaçant de les obstruer. Il en est résulté, pour quelques-uns, des mares semblables à celles de Tombouctou, un peu moins larges, profondes de 7 à 8 mètres. L’eau qui s’y accumule durant la nuit est presque épuisée dans la journée, mais elle se renouvelle chaque nuit. Depuis que nous occupons ces puits, les caravanes maures et touaregs ne viennent plus s’y abreuver. Le niveau d’eau a beaucoup baissé depuis quelques années, celui du Faguibine ne s’élevant plus guère à l’hivernage. On attend avec impatience dans tout le pays une nouvelle période de grande inondation.
La coupe du terrain où sont situés ces puits est assez uniforme et atteste l’action alternant de l’activité des dépôts lacustres et des invasions sablonneuses désertiques. Sur le plus grand puits, dont les bords ont été fraîchement coupés, j’ai relevé la coupe suivante :
1o Couche de sables blancs mobiles (sables désertiques) de 0m 80. Ces sables sont constitués par des grains de quartz très fin, la plupart blancs, quelques-uns couleur rouille.
2o Sables jaunes terreux mêlés de nodules plus denses, parfois presque noirâtres (débris végétaux). Cette couche est épaisse de 0m 60 environ. En approchant de l’étage 3, cette assise présente un grand nombre de très minces couches d’argiles blanches d’un aspect feuilleté.
3o Couches d’argiles blanches compactes (kaolin) d’origine lacustre, épaisses de 0m 40 à 0m 60. Cette couche d’argiles blanches se retrouve, paraît-il, dans toute la région. Elle a du se déposer en eau très calme. Elle est utilisée pour faire le récrépissage intérieur des murs des cases.
4o Sables jaunes à aspect de loess, contenant encore des traces végétales, mais en moins grande quantité que la couche 2. Elle a une épaisseur de 0m 50 environ.
5o Couches de sables blancs désertiques mêlés de traces de sables jaunâtres (comme 4) avec des débris végétaux, ces traces étant disposées en couches minces, horizontales.
6o Couches de terres fortes argileuses, avec humus couleur[115] gris cendré, couleur de terres franches) visible sur une épaisseur de 3 mètres environ. C’est le niveau d’eau des mares.
Il est important de noter les deux faits suivants :
A. Il n’existe pas de trace de fossiles dans aucune des couches mentionnées ci-dessus.
B. Il n’existe pas de galet, si petit qu’il soit, dans aucune couche. On trouve seulement dans les couches 2 et 4 des sortes de concrétions ferrugineuses encore tendres qui attestent que ce dépôt s’est effectué au bord des lacs, sur une plage alternativement mouillée et desséchée sous l’action d’une évaporation très rapide, l’eau abandonnant ainsi les particules minérales qu’elle tient en dépôt. Tous les bords du lac Faguibine que j’ai vus, ne présentaient comme masses solides que ces agglomérations ordinairement de la grosseur d’une noisette.
Je n’ai pas vu de blocs de pierres sur les bords du Faguibine. C’est le contraire qui existe dans le lac Télé dont le fond asséché contient de nombreuses traces de rochers tourmentés par les érosions, à angles vifs ; il est parfois jonché de gros galets à angles mousses comme aux environs du village de Falakana qui est bâti avec ces pierres. La surface du sable aux alentours du poste est habituellement jonchée de débris d’os récents (moutons, bœufs, ânes, chameaux) et des débris de la coquille indéterminée nacrée des bords du Faguibine.
Les environs du puits de Râs-el-Mâ sont assez herbeux, couverts de Graminées palustres, mais il n’y a pas trace d’arbres.
La Malvacée albasagna oura est la plante la plus abondante, celle du moins qui se fait remarquer par ses grosses touffes hautes de 0m 60 environ. Ces touffes deviennent très nombreuses à mesure qu’on avance vers le lac. Le jardin du poste de Râs-el-Mâ est situé à côté du puits. Il a été entièrement recouvert de paillassons en lanières de chaumes de mil formant claire-voie. Ces paillassons élevés de 1m 50 environ sont destinés à donner aux plantes un abri contre l’ardeur du soleil. J’ai vu, dans le jardin, de jeunes plants des légumes suivants qui sont très vigoureux et de belle apparence : aubergines, tomates, chicorée, radis, choux, épinards, navets,[116] carottes. Il y a aussi deux ou trois beaux jeunes pieds de ricin.
Le sol étant du sable désertique absolument inerte, on a constitué la terre arable en malaxant dans un grand trou avec de la terre forte extraite du fonds des puits, avec du crottin de cheval et de mouton. Moyennant cet engrais, les légumes poussent bien. Autour même du poste, on trouve quelques plantes qui paraissent adventives : le cléome, la sésame à fleurs roses, la plante fournissant la potasse (du fort Nord de Tombouctou), quelques touffes de mil et de la Graminée à gros épis cylindriques cotonneux (très communs dans le Cayor). Les femmes des tirailleurs n’ont pas encore constitué de jardins indigènes.
Sur les bords du Faguibine, le blé se sème en novembre. On peut diviser les bords du lac où il se sème en trois parts : le tiers avoisinant le bord du fleuve où il réussit bien, la terre étant humide et assez riche ; le tiers moyen où il réussit admirablement ; enfin le tiers le plus éloigné du fleuve où le sol est de mauvaise qualité et où manque l’humidité. La récolte y est très faible ou même nulle les années de sécheresse. L’exploitation de ces terres riches appartient à cinq ou six affermeurs qui paient l’impôt au poste de Râs-el-Mâ, en raison de l’importance de la récolte. Ils doivent fournir le dixième de cette récolte et, en outre, apporter de la paille au poste pour les réparations et la réfection des toits de cases. Le plus gros affermeur est Baba, gabibi[8], ancien captif, chef du village de N’Bouna. Il a, paraît-il, fait preuve de très mauvaise volonté en diverses circonstances ; on vient de le mettre en prison. Les cinq ou six affermeurs de terres des environs de N’Bouna louent, par petites parcelles, ces terres à de nombreux captifs de caravanes, esclaves de Schoboun, de Maures, etc., et prélèvent sur eux la presque totalité de la[117] récolte. Le cultivateur doit, en outre, remettre la moitié de ce qui lui reste à son maître, de sorte qu’il n’a plus rien pour nourrir sa famille. Aussi, est-il obligé de recourir pour son alimentation aux graines de Panicum turgidum Forsk., de Kram-kram (Cenchrus echinatus L.), de Bourgou (Panicum Burgu Cheval.), de Panicum pyramidale Lamk., de Riz sauvage, aux tubercules de Nénuphars (Nymphæa Lotus L. et N. cœrulea Savign.), aux tiges souterraines de l’Orobanche lutea Baumg., parasite sur les racines du Salvadora persica L.
On fait au moins deux récoltes par an sur les bords du Faguibine. La récolte du blé terminée (en mars), on en brûle la paille sur place et la terre est prête pour l’ensemencement du mil aux premières pluies. Pour battre le blé, on réunit les chaumes en cercles, les épis étant dirigés vers le centre du cercle sur un terrain solide, et en les piétinant, les femmes font tomber la graine. Après la récolte du blé, on sème du mil progressivement, à mesure que l’eau se retire. Actuellement, les chaumes de gros mil ont 2 mètres de haut et les épis ne sont pas encore sortis. Le petit mil moins cultivé est bien moins haut et a ses fleurs épanouies en ce moment. Le riz a dû être semé, il y a un mois environ, en pépinière, mais on en sème encore actuellement en place. A mon passage, les indigènes étaient occupés à repiquer ce riz. Les plants ont de 0m 10 à 0m 15 de haut ; on leur coupe l’extrémité des feuilles, on les plante par pieds isolés, mais à chaque trou où il a été semé, il y a jusqu’à vingt pieds de riz. Les semis en pépinière se font généralement dans les champs de mil. On les arrache avant que le mil soit assez haut pour étouffer le riz. Le riz ne tardera pas à être immergé par les eaux, car on le repique à la limite même des terres découvertes, et, comme le niveau du lac s’élève de jour en jour, par suite de la montée de la crue du Niger, l’eau atteint progressivement les jeunes plantes à mesure qu’on les met en place. Le blé du Faguibine réussit bien. On remarque jusqu’à une vingtaine de chaumes par pied ; il s’élève peu. Il est exempt de rouille et de charbon, contrairement au mil. On en reçoit chaque année, comme impôt ou par voie d’achat, une quarantaine de tonnes qui sont transportées[118] au poste de Goundam. Le surplus de la récolte est vendu aux caravanes qui s’en vont dans le Nord, vers Araouan et aux habitants de Tombouctou. L’étendue de la culture n’a pas augmenté depuis notre arrivée, ainsi qu’on le croit généralement. La superficie cultivée varie beaucoup d’une année à l’autre, suivant l’étendue couverte par l’inondation ; à mesure que l’eau baisse dans le lac, la surface cultivée diminue aussi, de sorte que les habitants de la région attendent avec impatience une année de grande inondation.
Au départ de Ras-el-Mâ, on traverse une plaine déboisée atteinte par les grandes inondations du Faguibine. Cette plaine est couverte de troncs de gommiers morts, à écorce dénudée. Ces arbres ont été tués par les feux de brousse allumés avec intention pour débroussailler afin de cultiver du mil. Ils n’ont pas été détruits par l’inondation de 1895, ainsi qu’on pourrait le croire. La plaine, qu’on traverse ensuite, est couverte de sables rougeâtres très fins, analogues à ceux qui ont été constatés dans la coupe des puits de Ras-el-Mâ. La végétation est très clairsemée. On aperçoit un Acacia tortilis Hayne tous les 50 mètres environ. Le Balanites et l’Acacia Senegal Willd. se trouvent encore ici, en pleine floraison. Ces plateaux de limons rouges, analogues aux plateaux de lœss de l’Europe, sont situés à une distance de 15-20 kilomètres de Ras-el-Mâ. On tombe ensuite dans une dépression qui paraît être une dépendance du petit Daouna. Les Hiros (Salvadora) apparaissent dans cette dépression. On y remarque aussi la Capparidée herbacée, Cleome de Goundam. Le fond de ce lac asséché est un sable blanchâtre très fin, avec petits galets rougeâtres, friables (argilo-ferrugineux). Le sol est jonché de quantités innombrables d’une Cérithe, à tel point que cette coquille forme parfois la surface totale du sol. Dorénavant, j’en observerai dans toute la traversée des Daouna. Elle[119] sont spécialement abondantes près du point où nous campons au delà de Gassa. Cette dépression est limitée par de hautes dunes sur lesquelles on trouve des Acacia tortilis en pleine floraison, très abondants et dont quelques-uns ont de gros troncs (1 mètre et plus de circonférence). Ce sont bien de véritables arbres.
Après avoir franchi une dune de bordure à pic, nous tombons dans une dépression très étendue toute couverte de Cérithes. C’est le petit Daouna complètement à sec. Nous sommes là à 25 kilomètres environ du lac Faguibine.
Non loin du puits de Gassa, le sol se couvre d’une roche argilo-ferrugineuse qui affleure à la surface du sol ; elle est très légère et très tendre et se débite en petites plaquettes horizontales. Cette pierre feuilletée et très friable n’est autre chose que de la latérite constituée presque exclusivement par du sable et de formation toute récente, car elle paraît tapisser le fond du lac. Cependant elle ne contient jamais de coquilles.
Les puits de Gassa sont à sec, ce qui nous oblige à aller camper plus loin.
Le village est plutôt un ensemble de quelques mauvaises paillotes qui servent à abriter les caravanes et les troupeaux des environs. Nous campons à environ 6 kilomètres du village, près d’une dépression argileuse dans laquelle sont creusés 5 ou 6 puits dont l’eau est blanche. Aux environs, se trouvent quelques plantes adventices : Solanum très voisin, sinon identique au S. nigrum L., enfin une nouvelle espèce de reseda (R. Sudanica).
Les puits sont actuellement à 7 ou 8 mètres du niveau de l’eau ; la terre qu’ils traversent est une argile gris-cendrée riche en humus. Dans les déblais on remarque aussi l’argile blanche de Ras-el Mâ. La plaine argileuse est nue ; les arbres qui avoisinent les limites de la dune sont des hiros et des Acacia tortilis Hayne. Cette dune est entièrement jonchée de coquilles (Cérithes) avec de petits galets ferrugineux de la grosseur d’un noyau de cerise.
Le départ a lieu vers 8 heures du soir par un beau clair de lune. Pendant 8 ou 10 kilomètres nous traversons le fond du lit du grand Daouna. Au delà des puits, nous traversons de vieilles cultures de mil, puis de vastes espaces qui ont été cultivés en blé l’année précédente.
Le fond du lac est toujours semé de petites coquilles (Cérithes). Il est presque partout à sec ; çà et là seulement de petites flaques d’eau se sont formées à la suite des dernières pluies. On ne voit pas d’arbres ; les seuls végétaux ligneux de cette région sont les Touri-Touri, sorte de Vernonia, haut de 1 m. 50.
Avant notre arrivée à la première étape, le sol est jonché de blocs de grès affleurant à la surface du sol, de 3 à 5 mètres de haut, ayant des formes étranges (champignons, etc.). Ces rochers se continuent jusqu’à Zinguette. Ils sont formés d’un grès blanc, dont la nuit m’empêche d’apercevoir la stratification.
Au delà de Zinguette, l’aspect du pays change complètement. Le terrain devient caillouteux par places. Ailleurs, le sol est argileux et marécageux.
Dans les nombreuses mares d’hivernage, peuplées de grenouilles, on trouve quelques types ligneux nouveaux. C’est le commencement de la nouvelle zone botanique. Sous l’influence de l’humidité de cette région, plusieurs serpents se glissent dans le sentier. Ils sont gris-cendrés et possèdent de petites écailles saillantes, plus pâles en dessus ; en dessous de larges plaques blanc-jaunes s’étendent d’un bout à l’autre du corps. La queue se termine en pointe brusquement. Ce serpent s’appelle Tamanin n’colo (en songhaï), Fonfoni (en bambara). Un indigène dit que quand on est mordu on n’a pas le temps d’appeler.
Après une heure environ de traversée, au delà de Zinguette, nous sortons des marais. Nous montons une falaise et pendant[121] plusieurs heures, nous traversons une dune tantôt à sables mobiles, tantôt avec petits cailloutis. Ces dunes constituent une véritable forêt de berré (Euphorbia balsamifera Ait.) et d’albarcanté (Commiphora africana Endl.). Ces derniers arbres atteignent des proportions considérables. Quelques-uns ont bien 1 mètre de circonférence et 7 ou 8 mètres de hauteur.
Au campement, où nous arrivons vers 2 heures du matin, on entend dans la nuit les rugissements des lions, des chacals et des hyènes. Des porteurs nous font remarquer aussi des empreintes de pas de girafes. Après un court repos, nous nous mettons en route au matin dès la première heure. La végétation est maintenant bien différente. Ce n’est plus la flore saharienne, mais la flore du Soudan. C’est toujours une forêt d’Euphorbes et d’albarcantés, mais au pied croissent quantité de plantes herbacées nouvelles. Comme arbre, c’est le petit Pterocarpus de Bakel à fleurs jaunes, actuellement chargé de petites gousses nummulaires d’un vert tendre et lisses. C’est en somme la végétation de la région de Kayes que nous retrouvons là ; le Guiera senegalensis Lamk. y fait son apparition. La route est pittoresque, encaissée entre deux chaînes de montagnes alignées du Nord au Sud. Ces montagnes sont formées de grès fins compacts et de grès avec gros grains de quartz. Certains bancs sont riches en fer oxydé ; aussi, à leur base, les latérites ferrugineuses compactes font leur apparition. Le minerai de fer est d’ailleurs l’objet d’une exploitation de la part des indigènes et plusieurs hauts fourneaux existent entre le lac Horo et Sompi. Le fer de ces régions est exporté au loin dans le Sahara par les caravanes de Maures.
Les pluies abondantes qui nous surprirent après Niodougou m’empêchèrent de tenir ces notes à jour. Nous étions d’ailleurs complètement sortis de la zone subdésertique et entrés dans la zone soudanaise. Les grosses touffes de l’Andropogon à vétiver jalonnaient les dépressions de leurs chaumes graciles, et en beaucoup d’endroits la base de leurs feuilles commençait à être inondée. Çà et là quelques touffes de Nauclea inermis Baillon et de Crossopteryx febrifuga Benth., marquent les[122] lieux qui sont atteints par les eaux à l’époque de la crue. Les terrains surélevés environnants portent au contraire de grands albarcantés formant de véritables arbres. Quelques-uns, ordinairement les plus souffrants, ou ceux dont le tronc a été endommagé, portent quelques larmes de résine.
Enfin, à quelques kilomètres de Sompi, on trouve les premiers rôniers qui se distinguent immédiatement des doums aperçus depuis Niodougou.
SÉNÉGAL : CAYOR, BAOL, RÉGION LITTORALE DES NIAYES.
J’ai traversé la région côtière du Sénégal à deux reprises différentes : en premier lieu, à mon arrivée en Afrique pour gagner le Haut Fleuve et l’intérieur du Soudan ; en second lieu, au retour des pays du Niger et pendant la durée de la mission du Comité de l’Exposition.
Le 26 novembre au matin, le Cordillière mouillait dans la rade de Dakar, et la plupart des passagers à destination du Soudan apercevaient pour la première fois la côte d’Afrique. Pour tout nouveau venu c’est une désagréable surprise que la première vision de cette côte du Sénégal, mais le naturaliste surtout éprouve une amère déception ! Au lieu du fouillis inextricable de végétation, au lieu des palmiers, des fougères arborescentes que l’on s’attend à trouver, c’est une côte nue, brûlée par le soleil, desséchée par le vent d’Est soufflant déjà sur terre ! Où est donc la forêt vierge rêvée ? Que sont devenus ces bois impénétrables dont parle Adanson ? Où sont ces puissants ombrages, ces arbres séculaires enlacés de lianes, couverts d’épiphytes, toute cette végétation exubérante dont s’enthousiasma Ch. Darwin en parcourant le Brésil ? Ce n’est certes pas au Sénégal ! Mais un naturaliste ne se décourage pas pour si peu : les milliers d’oiseaux de rivage s’ébattent sur les flots, les nègres dans leurs pirogues envahissent le pont du paquebot, et ces beaux prismes de basalte émergeant de la mer, l’île de Gorée et son castel, les rochers des Madeleines enveloppées d’une ceinture d’écume, tout cela constitue un tableau admirable, complètement exotique, qui ne rappelle en rien nos côtes de l’Atlantique. Au premier étonnement[124] succède bientôt l’enthousiasme. Si les bois font défaut, en revanche une multitude de petites plantes en fleurs émaillent le sol. L’hivernage a pris fin depuis un mois à peine, et le soleil n’a pas encore eu le temps de brûler l’humble parure végétale des sables et des rocs ferrugineux sur lesquels est bâtie la ville de Dakar. Cette pierre rouge avec laquelle on édifie certaines habitations (les bâtiments du poste de Thiès, par exemple) est une latérite compacte, sorte de poudingue un peu caverneux, riche en limonite qui lui donne sa coloration.
MM. Cligny et Rambaud ont fait remarquer que cette roche superposée en calcaire (tertiaire inférieur ?) du cap Vert était au contraire recouverte par les épanchements de basalte localisés au littoral.
8-10 décembre 1899. — Ce village est situé au centre de la région qui produit chaque année la plus grande quantité d’arachides. De quelque côté qu’on se dirige, la terre est débroussaillée et entièrement consacrée à la culture de cette précieuse plante, sur un rayon de 8 kilomètres. La plupart des arachides sont actuellement récoltées ; il n’en reste plus que des coins isolés qui ont dû être ensemencés plus tardivement.
Les arbres qui croissent dans les champs sont des baobabs, des tamariniers, des Ficus, des mbeps (Sterculia tomentosa G. et P.). La pomme de Cayor (Parinarium macrophyllum Sab.) est assez commune dans le pays. Citons encore quelques rôniers ; mais c’est du côté de Piregourèye que ces végétaux sont abondants, formant une véritable futaie, clairsemée il est vrai.
Jardin de la gare. — Les légumes et les arbres fruitiers y réussissent bien. Les légumes viennent plus beaux qu’en Corse, me dit le chef de gare. Ils réclament peu de soins. Il[126] suffit de les arroser fréquemment, de couvrir les salades avec des tuiles, pour les faire blanchir. Le fruitier contient de beaux arbres plantés depuis une dizaine d’années : citronniers, orangers, pommiers d’acajou, papayers, corosoliers. Dans tout le village indigène, les papayers abondent. Ils sont ramifiés en ombelle au sommet. Une papaye vaut de 0 fr. 10 à 0 fr. 15 au détail. Au passage du train les enfants nègres viennent en offrir aux voyageurs. Les arbres fruitiers du jardin, malgré leur âge (une quinzaine d’années), sont arrosés souvent. En ce moment, les orangers et les citronniers sont chargés de fruits. Le pommier-cannelle a donné tous les siens. Les corosoliers en portent quelques-uns encore verts.
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Fig. 6. — Dakar. — Sacs d’arachides au moment de l’embarquement sur le Warf.
Le grand fléau des arbres fruitiers, quand ils sont jeunes, est le termite. Ce sont les termites qui s’opposent à l’introduction d’un grand nombre des arbres de France. A l’état adulte, les arbres fruitiers tropicaux sont fréquemment envahis par le Loranthus du pays, dont les graines gluantes sont transportées par les oiseaux (merles métalliques et autres). Dans le jardin de la gare, j’ai vu des Loranthus, sur les arbres cultivés suivants : l’oranger, le citronnier, le pommier-cannelle, le corosolier, le Ben ailé, le lilas de l’Inde (Melia Azedarach L.). Quand on se contente d’arracher les branches du Loranthus, il repousse très bien aux nœuds qui se forment à la hauteur de la pénétration des racines dans le tronc. La façon de végéter de ce parasite est tout à fait analogue à celle du gui (Viscum album L.) de notre zone tempérée.
Sur les bords de la ligne de chemins de fer croissent en haie vive le Manihot et le pourguère (Jatropha Curcas L.) qui servent de clôture. Dans d’autres parties de la voie, on utilise pour cet usage l’Euphorbe balsamique du pays ou Salane des Volofs (Euphorbia balsamifera Ait.). Dans le village, les pourguères sont très communs ; les grands Ipomæa rouges, à tiges épineuses, s’enlacent partout le long des clôtures des cases et retombent en guirlandes du plus gracieux effet.
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Fig. 7. — Gorée. — Rochers de basalte.
De nombreux Ficus se trouvent aux environs du village, notamment le dob (Ficus Vogeli Miq.) dont on a beaucoup parlé dans ces derniers temps comme producteur de caoutchouc. Il pousse souvent sur les autres arbres : Caïlcedrats, Baobabs ; tous les pieds sont entièrement couverts d’entailles qui se referment en ce moment ; les dobs portent un grand nombre de petits fruits jaunes commençant à mûrir, mais presque tous ces fruits ont à leur intérieur des vers qui dévorent les graines. C’est par le bouturage qu’il faudra surtout chercher à multiplier ces plantes.
Je trouve à acheter deux boules de caoutchouc dob ; c’est une substance rouge qui n’est ni élastique, ni nerveuse. Quand on la tire, elle se brise sans offrir de résistance et adhère légèrement aux doigts. Elle s’obtient par évaporation du latex. C’est, en somme, un caoutchouc très médiocre, et l’on est surpris de l’engouement qui l’accueillit lorsqu’il fut mis sur le marché de Liverpool en 1896. Les indigènes de Thiès, à qui on en a demandé répondent qu’ils ne peuvent le coaguler. On trouve encore le Keul (Ficus sp.), un Ficus voisin du F. Sycomorus et quelques autres espèces. Autour des jardins du village, on rencontre le grand Pignon d’Inde ou Pourghère (Jatropha Curcas L.), qui est très commun. C’est un reste de la culture rationnelle de cette plante qui fut tentée au Sénégal en 1863. Les Ipomæa à fleurs bleues sont communs dans les haies. Le Baobab abonde dans le pays ; par endroits, il a perdu ses feuilles ; au contraire, dans le marigot de la vallée de la Tamna, tous les baobabs sont encore verdoyants, ce qui montre bien que le stade de repos de la végétation au Sénégal est dû au manque d’eau et non à l’abaissement de la température.
Le kad et les neb-nebs (Acacia arabica Willd.) sont assez communs. Les Khaya sont abondants ; il y en a de très vieux ; ceux dont le tronc est renversé par les tornades sont brûlés pour faire du charbon de bois qui se vend sur les marchés[130] de Saint-Louis et de Dakar. On cultive ici le papayer en abondance. Les potirons-courges sont aussi très communs dans le village ; il y en a de formes diverses ; les plus communs sont ovales, sans côtes ni couronne et à fleurs jaunes. Le kinkéliba (C. micranthum G. Don.) abonde partout avec un autre Combretum voisin qui a l’écorce roux-brunâtre. A 4 kilomètres du village, on rencontre un marigot encombré de plantes aquatiques (Pistia, Typha, Ceratophyllum). L’influence de la mer paraît encore s’y faire sentir, car, par place, il est bordé de Tamarix. D’ailleurs l’eau serait très légèrement saumâtre, bien que les chevaux et les indigènes la boivent.
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(Cliché de M. Noal).
Fig. 8. — La place d’un village du Cayor plantée de Baobab (à gauche) et de Ben ailé (à droite).
La Mission du mont Roland a été créée par les Pères du Saint-Esprit à 15 kilomètres de Thiès, dans une région calcaire très intéressante habitée par une agglomération Sérère. A partir de Thiès, une belle route carrossable conduit jusqu’à 500 mètres de la Mission. La route traverse un ravin assez boisé (comme aux environs de Thiès) où domine le Zizyphus orthacantha. On trouve, en outre, des lianes herbacées. Je remarque notamment des Ipomaea épineux et une Dioscorée à petits tubercules aériens en forme de pomme de terre, mais de la dimension d’un pois. La liane made (Landolphia senegalensis Kotschy et Peyritsch) est assez commune sur la route. La liane Strophantus sarmentosus C.DC., à fruit obtus abonde. Ses fruits ne sont pas encore mûrs ; d’ailleurs les indigènes ne connaissent pas le poison fourni par les graines. Le Lobelia senegalensis A.DC., actuellement en fleurs et en fruits, est très commun partout. Le tamarinier et le baobab sont communs. J’ai vu des baobabs décortiqués en train de refaire leur écorce. Une partie des baobabs du ravin du mont Roland ont perdu leurs feuilles. J’aperçois des tamariniers de forte taille ; l’un d’eux a une écorce gris-cendré. Le Combretum micranthum Don. est commun partout, mais surtout vers le mont Roland, de même un Capparis grimpant épineux, fréquent surtout sur les termitières.
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Fig. 9. — Intérieur d’un village wolof (l’arbre du premier plan est un Ben ailé).
[132]A 3 ou 4 kilomètres de Thiès, on rencontre une chapelle isolée, entourée de grands Agave americana L. plantés par les Pères et actuellement en fleurs. Le nôs, à inflorescence en ombelle composée, est actuellement en pleine floraison et dégage une odeur de miel agréable. Le mont Roland est situé à environ 18 ou 20 kilomètres de la mission de Thiès. Les hauteurs mamelonnées séparées par des vallons boisés présentent un aspect des plus sauvages. On aperçoit de l’une d’elles, dominant le pays par suite de la réfraction, le lac de la Tamna, avec la mer au loin. L’aspect du pays vu de ce mamelon est tout différent de ce que nous avons vu jusqu’alors aux environs de Thiès. Le sol y est d’un blanc crayeux : c’est du calcaire. On voit de tous côtés de hautes termitières blanches, nues, dominant le sol de la brousse, couvertes souvent de Capparidées ligneuses.
Près d’arriver à la Mission, la route coupe une tranchée curieuse. Le sommet du mamelon est formé de graviers et de morceaux plus ou moins énormes de latérite disloquée, formant des éboulis. Cette latérite, outre la gangue habituelle, contient des rognons blancs et des fragments calcaires. Ce sous-sol est recouvert d’une terre noire d’alluvions, épaisse de 50 centimètres par endroits et pénétrant par places plus avant entre les blocs de latérite sous forme de filonnets noirs. Au-dessous des graviers, on trouve le terrain calcaire perpendiculairement, formant les flancs du vallon vers la Tamna. Ce calcaire est plus ou moins décomposé, corrodé par les eaux. Je n’ai pas vu de blocs absolument en place, mais des bandes stratifiées à demi décomposées qui viennent affleurer çà et là. Des blocs plus résistants, gros comme trois ou quatre fois le poing, jalonnent le sol. Ces blocs sont souvent pénétrés de débris coquilliers parmi lesquels un petit Ostrea.
Le sol en se décomposant donne une sorte de marne blanchâtre qui affleure sur l’emplacement même de la Mission. Cette marne est parfois recouverte de terre noire humique ou de cailloutis de latérite. Elle est toujours ramenée à la surface du sol par les termites qui en construisent de hautes termitières arrondies, nues, d’une grande blancheur, toutes[134] différentes de celles que j’ai vues jusqu’à présent en Afrique. Je n’ai pas remarqué de plante spéciale à ces terrains calcaires, sauf, peut-être, une petite Convolvulacée à fleur blanc-rosé. Quand on descend plus bas vers les villages de N’doute-T’vigne à 1.000 mètres de la Mission, le sol blanc, marneux, disparaît et est remplacé par une terre noire formant une couche très épaisse. Près du puits de la Mission, j’ai remarqué dans une excavation : 40 centimètres de terre noire végétale, humique ; 20 centimètres d’une couche de cailloutis dont la grosseur varie entre celle d’une noisette et celle d’une orange, mélangée de sables grossiers (les angles des cailloux sont assez peu arrondis quoiqu’ils aient été roulés) ; 6 mètres de profondeur d’une terre noire qui paraît s’étendre encore plus profondément.
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Fig. 10. — Abords du poste de Podor (Sénégal) avec Balanites ægyptiaca.
Ce terrain est très fertile, on y cultive le mil, actuellement récolté (il se vend 0 fr. 10 le kilog.) et vers le milieu de l’hivernage, on sème les niébés, qui à cette époque-ci sont en partie mûrs. Les feuilles jaunissent et une partie d’entre elles sont semées de plaques gris-roussâtre dues à un champignon. Ces niébés (Vigna Catjang Walp.) sont cultivés en grand à Thiès et Pout où ils forment d’immenses champs à perte de vue. Le rendement en est assez grand. Ceux que j’ai vus à Nd’oute appartiennent à la variété à long pédoncule que j’ai rencontrée aussi sur les bords du Niger.
Le mil est placé dans des greniers ou en monceaux disposés sur des pierres, les épis placés horizontalement et rayonnant vers le centre.
Le coton m’a paru beau, ne présentant pas de taches de rouille. Les soies n’en ont pas été examinées. J’ai remarqué quelques pieds d’indigotiers, de ricin, de courges, de calebassiers (Lagenaria). J’ai vu porter au marché de Thiès des calebasses d’arachides, mais elles n’étaient peut-être pas originaires du village où on en cultive peu.
La Mission a pris une concession dans les Nyayes, vers la Tamna. Ces terres pourront convenir au cotonnier, peut-être à certains caféiers des terrains bas.
Les habitants du pays, les Sérères, sont tous fétichistes,[136] réfractaires à la religion musulmane, moins à la religion catholique. Ils sont bons cultivateurs, de mœurs paisibles.
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Fig. 11. — Sébi-Kotane. — Un coin des Niayes.
Leurs habitudes ne se sont pas modifiées à notre contact : quand on enterre un mort, on creuse une fosse et on établit un tumulus conique de 2 m. 50 à 3 mètres de diamètre, haut de 1 m. 50. Tout autour se trouve un petit fossé. Si c’est un chef, on le laisse habillé dans son lit, et c’est sa case tout entière qui est recouverte de terre. Ces Sérères sont des buveurs incorrigibles. L’argent qu’ils retirent de la vente de leurs arachides est employé uniquement à acheter du sangara (alcool de traite). Ils apprécient également le vin de palme qu’ils retirent en incisant le sommet de la tige de l’Elæis guineensis L. qui est ici presque à sa limite septentrionale.
(Cliché de M. Rambaud).
Fig. 12. — Un convoi de pasteurs dans le Baol (savanes et steppes d’Acacias.)
Il n’y a pas de cultures d’arbres fruitiers autour de la Mission ; les Pères s’approvisionnent de fruits et de légumes à leur établissement de Thiès. J’ai vu seulement quelques papayers, des piments, deux ou trois jeunes orangers, quelques bananiers autour du puits. Les végétaux les plus curieux[138] remarqués à N’doute sont de nombreux baobabs et tamariniers (le tamarinier vient dans la brousse) ; quelques Ficus (Keul), le dob (planté à la Mission) ; un gros Ficus, à petites feuilles ovales luisantes, offrant plusieurs grandes racines, descendantes, formant des piliers et enterrées. Les kadas sont très abondants et en pleine floraison. J’ai vu aussi quelques neb-nebs ; le Strophantus au milieu de la brousse avec de jeunes feuilles, mais sans fleurs. La petite Acanthacée de la route des convois au Soudan abonde ici (comme à Thiès, Pout, Tivaouane) sous les baobabs et autres arbres offrant beaucoup d’ombre. Les nguisguis sont assez communs. Le palmier maritime du littoral (Phœnix senegalensis Van-Houtte) s’avance jusque là (quelques troncs sont hauts de 2 ou 3 mètres). Je remarque çà et là quelques rôniers, de hautes Graminées en fleurs, etc. Le Croton lobatus L. sauvage existe dans les lougans. De beaux Vernonia senegalensis Less., en floraison, se trouvent à proximité de quelques cases.
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Fig. 13. — Dagana.
Eclipse de lune. — Il y avait éclipse partielle entre 10 heures et demie et minuit. Malgré les quelques nuages qui couvraient le ciel çà et là, la lune a été entièrement visible pendant toute la durée du phénomène. Durant l’attente, je me suis endormi et j’ai été réveillé un peu après par des détonations de fusils. Les Sérères, voyant l’astre disparaître, tiraient au ciel pour l’arrêter. Pendant tout le temps qu’a duré l’éclipse, ils se sont livrés à des danses de tam-tams avec accompagnement de chants et cris. Le Père supérieur me raconte qu’il y a cinq ou six ans, alors qu’il était à Joal, il y eut une éclipse totale de soleil. On se trouva, pendant cinq minutes, dans une demi-obscurité ; les oiseaux (et spécialement les volailles) devinrent agités et cherchèrent un refuge ; quelques-uns se perchèrent. On sentit un froid assez vif pendant la durée du phénomène.
Rosée. — Depuis deux jours le ciel est couvert, le soleil ne s’est pas montré, ni hier ni avant-hier. Ce matin la rosée était intense. De la toiture de la maison de la Mission, elle tombait à grosses gouttes sur le sol qui était détrempé suivant la ligne de projection du bord du toit. La Mission est distante[139] d’une douzaine de kilomètres de la mer, en ligne droite. Pendant la nuit, on entend le bruit des vagues qui déferlent sur la grève.
On traverse le lac à hauteur de Tiaye. Sur la rive orientale s’étend un large gazon de Graminées desséchées et, par places, un gazon plus ras, plus verdoyant, formé de plantes maritimes. La partie où se trouve encore de l’eau peut avoir, entre Tiaye et M’Bidgem, environ 150 mètres de largeur. Il se trouve un gué où l’alcaty passe facilement avec son cheval sans se mouiller. Mais il existe une série de trois ou quatre ponts, partie en bois, partie en fer, construits par le gouvernement, qui permettent de passer facilement. L’eau du lac est trouble aux bords ; d’après le chef de M’Bidgem, elle n’est pas salée, elle est agitée. Le fond et les bords en sont vaseux, et la partie nouvellement exondée répand une odeur infecte. La vase, sur les bords, est recouverte de larges plaques noirâtres, dégageant une odeur putride. Ce sont probablement des colonies de bactéries. Cette vase est mêlée de débris de coquilles de mollusques. Dès que le pont est traversé, il faut franchir de petites dunes pour arriver au village. Le sable est mélangé d’une quantité prodigieuse de petites coquilles de Cerithium, de Cardium et d’une autre petite coquille bivalve, présentant des stries concentriques. Sur ces dunes, les kadas et les baobabs sont abondants, et cela tranche sur la végétation des cuvettes où les essences sont toutes différentes. Les maisons du village sont des cases rondes toutes en paille, grossièrement construites. Tout près se trouve la maison de l’ancien poste en briques, recouvert de chaux ; toutes les ouvertures sont brisées par le vent, le crépissage tombe en ruines. La maçonnerie et les planchers sont solides. Le séjour est agréable pour l’européen de passage. On a une vue splendide sur le lac, s’étendant jusqu’aux dunes de la mer.
Ce sont des cuvettes, remplies de terres noires (tourbe)[140] séparées les unes des autres par de petites dunes fixées et séparées également de la mer par des dunes plus hautes. A M’Bidjem, l’eau de ces cuvettes est douce, limpide, et elle sert à la boisson des indigènes. Dans le fond de la cuvette l’eau est à fleur de terre, et même en partie ces cuvettes sont pleines d’eau à l’hivernage. Grâce à l’humidité du sol et surtout à l’humidité de l’air due au voisinage de la mer (grande évaporation dans la journée et condensation, la nuit, sous l’influence du froid), une foule de plantes qui ne dépassent pas le 12e degré croissent en abondance. Tels sont : le palmier à huile, le Landolphia Heudelotii, et la plante (Euphorbiacée, à chatons insérés sur les branches) des bords des marigots des environs de Kouroussa. La plus remarquable de ces plantes est l’Uvaria æthiopica Rich., plante de la côte d’Ivoire et de Sierra-Leone, non rencontrée au Soudan. Dans l’intérieur, il faut aller chercher ces plantes dans l’extrême-sud de la Volta et de la région sud du Soudan. Le caféier pourrait réussir sous abri dans cette région et le palmier à huile pourrait fournir cet abri.
Marigots (lacs) de Bobossé, Kriss, Maliké (petit lac).
Ces lacs sont compris entre deux hauteurs de dunes, l’une est le Batalemi Niander ; vers l’intérieur, la crête est le Saconsemate. La dune vers la mer est raide et presque nue au sommet ; c’est à la base, vers le lac, qu’il y a des arbres verdoyants. La dune, vers l’intérieur, est peuplée de palmiers à huile, de nombreux Phœnix épineux, de quelques rôniers, d’arbres divers, notamment le néam. Pour revenir, on longe le marigot Houie (yoni).
[142]
Fig. 14. — Plantation de céaras à Sedhiou (Casamance).
LA CASAMANCE
En acceptant de faire partie de la mission économique du Sénégal, j’avais exprimé à M. le Gouverneur général de l’Afrique occidentale, le désir de visiter la Casamance. Cette demi-enclave française située entre la Gambie anglaise et la Guinée portugaise jouit d’une popularité merveilleuse auprès des Européens de la colonie. On n’en parle jamais qu’avec enthousiasme, et tous les voyageurs qui l’ont décrite dans des notices spéciales ont été unanimes pour en faire un tableau enchanteur. La réputation n’en est point exagérée. Pendant toute mon exploration en Afrique, je n’ai vraiment trouvé que là, la splendeur de la flore équatoriale, le beau désordre des essences forestières les plus nombreuses enlacées de lianes non moins variées.
Il est regrettable qu’une si riche contrée, donnant déjà de si beaux revenus à la colonie grâce à l’exportation du caoutchouc, des amandes et de l’huile de palme, enfin des arachides, ait seulement des moyens très rudimentaires de communication avec le Sénégal proprement dit. Aucun service postal régulier n’était organisé à l’époque où nous avons visité cette province, et la traversée de Dakar à Carabane, qui s’effectue en une douzaine d’heures sur un vapeur, peut traîner huit et dix jours sur un voilier, lorsque le vent est défavorable. Avec mon ami Cligny, j’ai mis, en effet, une semaine entière pour revenir, alors qu’à l’aller, la traversée n’avait duré que quarante-huit heures. En outre, le voyage s’effectue habituellement sur des goélettes ayant à bord un équipage de noirs et aménagées spécialement en vue du transport du caoutchouc ou des[144] arachides. Dans mes nuits de navigation les plus dures, à l’hivernage sur le moyen Niger, au milieu des prairies aquatiques de bourgou, habitées par des nuées de moustiques qui s’abattaient à chaque coup de rame dans notre embarcation, je n’ai pas connu d’instants plus affreux que ceux passés en mer à bord de la goélette Victorine-Aimée. Pour la modique somme de 25 fr., on a droit au passage de 1re réservé aux Européens, c’est-à-dire qu’on peut disposer d’une cabine. Les blancs, si nombreux qu’ils soient, doivent s’empiler dans une cabine d’une malpropreté repoussante où des milliers de cancrelats grouillent sur les vêtements. Il s’en dégage des odeurs de poisson pourri, d’huile rance et d’ordures innomables. C’est par ces moyens rudimentaires qu’en 1868, l’administration envoyait ses fonctionaires prendre possession de leur poste en Casamance. Et cela n’a pas changé depuis.
Parti de Dakar le 6 janvier 1900, je suis arrivé à Carabane, chef-lieu de la Basse-Casamance, le 8 janvier, et aussitôt ont commencé mes recherches qui ont duré jusqu’au 8 mars.
C’est une ville bien européenne. On y remarque de belles avenues plantées de dobs et du faux dob à pétioles non écailleux, déjà vus dans les Niayes. Dans la ville et près de l’ancien fort, servant aujourd’hui de magasin aux fourrages, situé à l’opposé de la ville, on trouve encore quelques plantes maritimes. J’ai fait une promenade sur la plage, du côté de Dakar. Il faut franchir environ 2 ou 3 kilomètres pour sortir de la ville et de ses abords sans pouvoir longer la grève, celle-ci étant encombrée de constructions et de cases indigènes. Il y a, çà et là, du côté de la terre, de grandes fondrières qui doivent communiquer avec la mer aux hautes marées et sont remplies de plantes littorales sur les bords ; l’intérieur sablo-vaseux est couvert de débris de coquilles, d’os de seiches, de morceaux de poissons secs, de squelettes de crabes. Sur les bords de l’un de ces marais salants, se trouve un arbuste à fleurs en grappes. La petite plante salée de M’Bidjem est très commune.[145] Quelques Salicornia se trouvent, çà et là, dans les endroits vaseux où la vase n’est pas encore desséchée. Je remarque aussi Ipomæa asarifolia Roem. et Schult. var. littoralis à feuilles épaisses ; la plante très longuement rampante des environs de la mer ; le Centaurea épineux des dunes de Tiasoye Kan ; un Lactuca à racine profondément pivotante, une Liliacée (?) à bulbe près de fleurir et portant ses feuilles desséchées. Au bord d’un fossé assez profond, asséché, j’aperçois un Celastrus, le Balsamodendron africanum Arn. (chétif) et un arbuste à port de Ficus de France, dont les feuilles sont tombées. Le Convolvulus à feuilles laciniées et à segments étroits, existe là aussi. Je remarque encore en grande quantité la liane subépineuse coupée à Thiès. On aperçoit en mer, à quelques centaines de mètres, deux rochers noirâtres très découpés. Les galets qu’on trouve sur la plage sont très variables : il y a des quartz, des grès, des conglomérats ferrugineux, une roche blanchâtre tendre (calcaire), ordinairement percée de pholades. On trouve, en outre, une roche noire très dure, ressemblant à de la diabase. Elle paraît former un filon qui vient se terminer dans la mer ; il se continue sur terre où on peut le suivre par des boulards qui jalonnent le sol suivant une certaine ligne. La plage est entièrement sablonneuse avec des falaises, par endroits, véritables monticules de coquilles en fragments ; ils sont parfois cimentés et forment une roche qui se débite en plaques et est rejetée ainsi à la côte ; on trouve aussi une roche analogue mais formée de débris de madrépores. Les coquilles de mollusques sont nombreuses ; elles sont rejetées vides à la côte, sauf trois petites, qui vivent dans le sable ; une sorte de flion, une espèce de petit Mytilus et une coquille de gastéropode noirâtre.
Carabane est situé à 4 kilomètres de l’embouchure de la Casamance (rive gauche), dont l’entrée, obstruée par la barre, est difficile à passer sans pilote. On utilise la marée montante.[146] La passe, large de 6 à 8 kilomètres, est, en outre, défendue par des rochers sous-marins. Les rives en sont boisées ; les palmiers à huile et les Phœnix nains viennent jusqu’à la limite atteinte par le flot.
De belles maisons européennes sont situées sur le rivage. A cet endroit, le fleuve a environ 3 kilomètres de large. Il faut une heure pour passer sur la rive droite en baleinière. Le poste du gouvernement, la douane et quatre ou cinq maisons de commerce, ont chacun leur warff construit sur pilotis de troncs de rôniers. Le service sanitaire, à l’arrivée des bateaux, est fait par la douane. Une trentaine d’Européens résident à Carabane ; ce sont surtout des agents de cinq ou six grandes maisons. En deçà du fleuve, vers l’intérieur, se trouvent les quartiers indigènes. La plupart des habitants sont des Diolas, mais, depuis quelque temps, la ville a été envahie par les Wolofs, commerçants pour leur propre compte, ou agents des comptoirs européens.
Les cases des Diolas sont circulaires, en paille, même les murs latéraux.
La mission catholique est assez importante. Beaucoup de Diolas sont catholiques, mais ils sont presque tous des ivrognes incorrigibles.
Comme les fétichistes, ils portent des grisgris, le plus souvent un scapulaire ; quelques-uns portent encore autour du cou les croix en cuivre qu’apportèrent les premiers missionnaires portugais, et ces objets se transmettent de génération en génération comme les fétiches. Du reste ils ont conservé la plupart des rites de leur ancien culte. En devenant catholiques, ils ont gardé tous leurs anciens usages : ils apportent du mil et du riz sur la tombe de leurs parents morts et se livrent dans le cimetière, aux clairs de lune, à d’abondantes libations de vin de palme en mémoire des ancêtres ou des amis qui leur furent chers.
Le 12 janvier, j’assistai sur la grande place devant l’église (monumentale pour le pays) à une joute de lutteurs Diolas. Cette fête se répète, paraît-il, en temps de ramadan tous les ans. C’est une cérémonie assez curieuse, bien qu’elle ait sans[147] doute perdu une partie de ses caractères depuis l’arrivée des Européens. Nulle part on ne lui trouve d’analogue dans l’intérieur de la partie de l’Afrique que j’ai parcourue, et l’on peut se demander si l’usage de ces combats n’a pas été introduit par des colons venus à la côte à une époque immémoriale.
17 janvier 1900. — Séléki est un village de Diolas situé à 4 ou 6 kilomètres de Geromaïd. Il n’a pas encore fait sa soumission et ne paye pas l’impôt. Les employés de la douane y sont bien accueillis ; c’est en leur compagnie que j’ai pu visiter ce pays. Le chef de village s’appelle Hissamba-ni ou Hassamba-no. C’est le jeune chef, celui qui a le plus d’autorité au point de vue administratif. Il a manifesté, à plusieurs reprises, l’intention de venir à Carabane faire sa soumission. Il existe, en outre, un vieux chef-fétiche qui préside aux cérémonies religieuses et qu’aucun Européen n’a pu encore voir. Il s’enfuit dans la brousse quand nous arrivons.
Nous quittons Geromaïd à 7 heures. La traversée dure trois quarts d’heure ; dans le fleuve nous apercevons quantités de très belles méduses. Il paraît qu’elles vont jusqu’à Ziguinchor. Les berges du fleuve sont bordées de palétuviers et d’Avicennia. L’huître des palétuviers abonde sur leurs racines, et elle a la réputation d’être, dans ces parages, particulièrement savoureuse.
Nous débarquons à hauteur de Séléki, sur une large plage de vase assez ferme, plage située en dehors de la bordure de palétuviers. Ce sol est nu et couvert d’efflorescences de sel ; ailleurs il est revêtu de plantes herbacées maritimes. Les oiseaux aquatiques sont très abondants : aigrettes, grandes sarcelles et bécassines. Mes compagnons en abattent une provision. A 100 mètres du marigot, nous entrons dans les rizières qui précèdent le village. Ces rizières sont bien soignées, très entretenues. Le riz planté à l’hivernage a déjà été récolté ; on en observe seulement çà et là quelques repousses. Il y a ici trois variétés de riz. Le riz se cultive par petites rizières n’ayant[148] pas plus de quelques ares d’étendue chacune, souvent n’ayant pas même un are. Elles sont séparées par des levées de terre herbues, sur lesquelles on circule pour aller au village. Il n’y a pas trace de végétation arborescente dans toute cette étendue. Le riz est cultivé en planches ayant de 50 centimètres à 1 m. 50 de largeur, longues seulement de 3 mètres et s’étendant sur toute la longueur du petit champ ; ces planches sont séparées par de petits sillons profonds de 20 à 30 centimètres, larges de 20 à 50 centimètres, dans lesquels circule l’eau. Le sol est noir ; le sous-sol argileux. Actuellement, la plupart de ces rizières sont dépourvues d’eau ; il s’est déposé au fond des sillons une matière jaune rouille (Diatomées).
En ce moment, on travaille aux rizières déjà recouvertes d’eau et on refait les planches, probablement pour les semis qui auront lieu à l’arrivée des pluies. Dans ces sillons, on trouve de temps en temps de grands crabes que les gens ramassent pour leur nourriture.
Les rizières non encore asséchées sont d’ailleurs très poissonneuses. Dans toutes ces rizières courent aussi en demi-liberté des cochons noirs ou maculés de blanc, et des canards ; sur les levées vivent des cabris. Les fossés inondés sont envahis par des plantes aquatiques, surtout des Cypéracées jonciformes : une Graminée en touffes denses à épis grêles ; deux Nymphæa, dont l’espèce à grandes fleurs blanches odorantes et à feuilles ondulées sur les bords (N. Lotus L.) et l’espèce à petites fleurs bleuâtres (N. cœrulea Savign.) ; une Alismacée à fleurs blanches ; une Gentianée à fleurs blanches, à pétales ciliés hérissés de poils blancs et une plante à petites fleurs bleues à feuilles nageantes (Pontederia natans P. Beauv). Dans les terres découvertes croît en abondance l’Acanthacée à fleurs violettes déjà notée. Elle est couverte en ce moment d’abeilles qui viennent en butiner le nectar. Il y a aussi sur ces levées de nombreux Marsilea, puis une à fleurs d’un beau bleu ; en face, une Malvacée à fleurs roses. Dans les lieux inondés croît l’Utriculaire à rosette nageante (U. stellaris L.), assez commune ; je note aussi des algues bleues, des Lemna, quelques dépôts de Diatomées.
[149]Le village de Séléki. — Les cases sont assez belles, ordinairement carrées ou rectangulaires. Le chef est absent ; nous sommes reçus par ses femmes et quelques notables. Après un accueil empressé, on nous apporte de l’eau et du vin de palme. Autour des cases est cultivé le grand Pignon d’Inde en quantité. Les seuls arbres fruitiers sont les citronniers et les pommiers d’acajou. Aux alentours du village existent de beaux arbres : des baobabs, des fromagers, des bousink-élits, des palmiers (palmiers à huile et rôniers très élevés), des kadas (Acacia albida Delile). Les cultures du village, en dehors du riz, sont le cotonnier, le néré, l’indigotier, le manioc qui est très commun. Auprès de la case du chef existe un arbre, le boulocogne dont les feuilles serviraient à teindre en bleu comme l’indigotier.
Les abeilles sont élevées en grande quantité dans les arbres entourant le village. Les ruches sont tantôt ogivales, tressées en lanières de feuilles de palmiers, tantôt ce sont des tronçons d’arbres évidés, fermés aux deux extrémités par un cercle en tresse de palmier. On recueille le vin de palme en abondance. Il a en ce moment un goût de sève prononcé, désagréable, notamment quand il est frais. C’est surtout l’Elæis mâle qui fournit ce vin. Les rôniers ne sont pas exploités pour cet usage. Les baobabs du village ont été en partie décortiqués pour faire des cordes. Je n’ai pas encore vu de peuplade qui n’utilise ces fibres. J’ai rencontré dans un jardin cultivé quelques tiges de gros mil très chétif, en épis mal fournis, ressemblant à celui qui vient à l’état demi-sauvage, au Soudan ; mais il semble ici que ce sont seulement des repousses développées après la moisson.
Un bosquet de Kinkéliba (Combretum micranthum G. Don) existe autour du village. Au haut des fromagers, les grandes aigrettes viennent nicher en nombre à l’hivernage. En ce moment, des merles bleus et des merles métalliques couvrent les arbres.
Objets de l’industrie indigène. — Les seuls objets rencontrés consistent en vases en terre, en chapeaux faits de feuilles de rônier en forme de grand parasol pour préserver de la pluie l’hivernage, en corbeilles de différentes formes faits de lames[150] d’Elæis ; certaines de ces corbeilles entourent les petites calebasses qui servent à recueillir le vin de palme.
Ornements des indigènes. — Ce sont des colliers de perles, des cartouches suspendues au cou, des plumes d’aigrettes et d’autres oiseaux placées debout dans la chevelure. La plupart des hommes sont en général de beaux types, forts ; les femmes elles-mêmes sont très musclées. Pas de tatouages ni de cicatrices sur le corps. Souvent il existe une petite tresse de cheveux, relevée en houppe droite au sommet de la tête, chez les hommes. Les Diolas de Sélési enterrent leurs morts au pied des grands arbres-fétiches : baobabs, etc. Il existe plusieurs Soukalas ou groupes de cases séparés par de la brousse arborescente. La récolte du vin de palme et la préparation du terrain pour la culture du riz sont les seules occupations des indigènes à cette époque de l’année. Les terrains conviennent naturellement au riz, et l’aptitude des indigènes pour cette culture est très remarquable.
18 janvier 1900. — Le village, est composé de plusieurs Soukalas. Il y a trois chefs de village. L’un d’eux a le commandement sur les autres. C’est lui qui nous reçoit dans sa case. Il se nomme Solébé. C’est un jeune homme de 25 à 30 ans, à physionomie intelligente. Il nous fait le meilleur accueil et nous apporte en cadeaux des poulets, des fruits, du vin de palme. Il assiste à notre déjeuner assis sur un petit siège à quatre pieds, qu’il porte suspendu sur ses épaules quand il se déplace. Il est entouré de quelques favoris dont un vieux buveur abruti, baga, qui fait honneur à notre sangara (alcool). Les Floups sont des Diolas parlant la langue diola. Il existerait un grand chef religieux invisible pour les Européens, espèce de chef fétiche sans autorité mais relevant du roi des Bakins, sorte de roi fétiche qu’aucun blanc n’a jamais pu approcher. Solébé est en somme l’homme qui a le plus d’autorité dans le village. Tous les autres individus sont égaux. Il n’existe pas de captifs.
[151]Les Floups sont de taille moyenne ou petits. La tête et le corps sont efféminés ; les seins très proéminents sont parfois presque aussi volumineux que ceux des femmes. Ils ne portent ni tatouages, ni cicatrices, ni marques dans la chevelure. Les membres inférieurs sont très fluets, la tête un peu étroite, le front large, fuyant ; les lèvres assez fines. Comme ornements, les hommes et les femmes portent des colliers d’argent et de cuivre au cou et aux bras, des coquillages (corils), parfois tressés dans la chevelure ou coupés en anneaux et enfilés autour du cou. Quelques hommes ont une abondante chevelure crépue ; la plupart sont rasés court. Les hommes et les femmes ont un costume primitif se réduisant le plus souvent à une bande de guinée liée autour du corps. Le chef est vêtu d’un pagne court et d’une chéchia rouge qui à force d’avoir été portée a pris une teinte noire, luisante.
Les Floups sont de grands buveurs. Ils s’adonnent toute l’année à la récolte du vin de palme sur les Elæis mâles. Ils ne le recueillent pas sur les rôniers pourtant très communs. La récolte se fait dans de petits cornets assez élégants en lanières vertes de feuilles de rônier. Ils vivent également de la pêche. Ils chassent le poisson à l’arc avec des flèches pointues et sont d’une grande adresse à cet exercice. Ils n’ont ni forgerons ni tisserands, de sorte qu’ils achètent aux traitants les barres de fer et les guinées. Depuis quelque temps, ils se livrent à la récolte du caoutchouc fourni par le Landolphia Heudelotii, A.D.C. très abondant autour du village ; mais ce sont surtout les Manjaques (ou mandiagos) qui viennent saigner les lianes dans le village. L’élevage du porc est une des grandes ressources des habitants. A notre arrivée, les différentes pièces du palais du chef sont occupées par des troupeaux de ces animaux fort gras qui se vautrent parmi les calebasses et les corbeilles en feuilles de palmier.
Il y a aussi dans le village de nombreux troupeaux de canards et quelques troupeaux d’une petite race de bœufs. Il existe de belles rizières recouvertes en partie d’eau.
Les cases sont ordinairement carrées, élevées, spacieuses, couvertes en paille avec des murs formés d’un treillis de[152] branches fendues en deux et enduites de terre. De nombreuses petites ouvertures sont pratiquées dans les murs. La porte est précédée, en dehors, de grands piquets qui empêchent les cochons de sortir. On cultive dans le village quelques cotonniers et quelques indigotiers, beaucoup de manioc, des niébés, un peu de mil, mais surtout du riz. Les arbres fruitiers observés sont les bananiers, très abondants et vigoureux (c’est l’espèce à long fruit arqué, polyédrique), les citronniers (sans fruits actuellement), quelques pommiers acajou, quelques grands Pignons d’Inde.
Certains hommes du village sont armés de lances, d’autres ont une grande lame en fer à long manche servant à travailler les lougans de riz. Le chef Solébé nous montre son fils atteint d’éléphantiasis et m’invite à venir le revoir et à apporter des médicaments pour le guérir.
19 janvier. — On rencontre le marigot de Géromaïd et le marigot de Ziguinchor, quelques cases, une maison couverte en tuiles, bâtie autrefois par la Compagnie française, des manguiers et des pommiers d’acajou en fleurs. De nombreux et beaux palmiers à huile forment çà et là des traînées de verdure à travers la brousse nue, ou bien des îlots de palétuviers marquent les traînées inondées une partie du temps. Les palmiers d’ici appartiennent tous au sexe mâle. On saigne la base de l’inflorescence pour en recueillir la sève (vin de palme). Pourquoi n’y a-t-il pas d’individus femelles ? Ces pieds se rencontrent jusqu’au voisinage du fleuve salé, mais dès qu’un pied est atteint par l’eau aux hautes marées, par suite des empiètements constants des berges du fleuve, ce pied meurt. Les bords sont ainsi jalonnés de souches tronquées et en partie déracinées, d’Elæis morts. Les Elæis de la pointe Saint-Georges appartiennent au village de Cajinolle.
Chez les Diolas, les palmiers à huile de la brousse sont la propriété d’un village, et tous les habitants, indistinctement,[153] ont le droit de venir en récolter le vin ou les régimes, mais les Diolas d’un autre village doivent s’en abstenir sous peine de recevoir des coups de fusils.
27 janvier. — Nous nous trouvons ici dans une grande forêt vierge ; la brousse est épaisse, les arbres très hauts sont enlacés de lianes formant des fourrés impénétrables. Le village portugais-créole se trouve sur les bords du fleuve (rive-gauche). Des groupes de cases sont enfouies dans des forêts de bananiers. A Niaboum, petit village à 2 kilomètres de Sinedone, j’observe des orangers paraissant sauvages, et une grande abondance de lianes à caoutchouc. Les Ananas sont comme naturalisés dans la forêt. Le gingembre et le thé de Gambie (Lippia adoensis Hoschst.) plantés autour de la concession Cousin y sont en pleine végétation. La maison d’habitation de la factorerie est un pavillon construit à Paris et monté pièce à pièce ici. De très beaux arbres ombragent les alentours. Les palmiers à huile, très abondants, ont jusqu’à 20 mètres de haut. Je remarque de grands fromagers, divers Ficus et des nétés. C’est là que j’observe aussi pour la première fois un splendide Alstonia, regardé à tort par les colons comme un arbre à gutta.
28 janvier. — Les habitants du village sont des diolas et des portugais-créoles, redevenus noirs mais ayant conservé une langue bizarre mélangée de portugais et de dialecte noir. Chaque groupe de case est isolé dans la brousse. Il y a beaucoup de palmiers à huile. On fait en ce moment la traite des noix palmistes. Pour une calebasse de noix palmistes, on donne une calebasse égale de riz du pays. La traite de l’alcool existe aussi, mais les traitants le vendent toujours additionné d’eau. On achète le riz du pays et le mil. On apporte deux sortes de gros mil. Aussitôt après la récolte, le noir vient vendre une[154] partie de son grain, plus tard il est obligé de le racheter contre du caoutchouc. La brousse est peu épaisse ; les palmiers à huile occupent des terrains étendus. Les palétuviers sont de moins en moins communs, le long du fleuve, mais les méduses et les noctiluques sont encore soulevées par les vagues de la rivière, et nous assistons le soir à une admirable phosphorescence des eaux. Les abords de la rivière sont marécageux ; par places il existe des rizières. A l’intérieur des terres, la brousse est très épaisse, les arbres sont très nombreux. Entre Branhaha et Adéane, les orangers croissent en pleine brousse. Ils ont été plantés autrefois. En ce moment, ils sont chargés de fruits jaunes mûrs, très doux et très agréables. On trouve aussi quelques citronniers. Ces arbres sont de belle taille et ils ont le port du pommier, les troncs étant gros comme la cuisse. Ils poussent sans aucun soin. Les indigènes se servent de petits crochets en bois pour récolter les fruits. Les bananiers sont très communs autour des cases ; les indigènes cultivent aussi les Ananas plantés également chez les Européens de la contrée. Toutes les cultures équatoriales paraissent possibles dans cet admirable pays.
14 février. — J’ai remarqué dans la brousse de très beaux fromagers, le grand Dracæna, la Légumineuse à fruits tétragones, le Sterculia à feuilles de ntaba mais à petits fruits, une splendide liane Apocynée (Alafia landolphioides Benth.) à fleurs blanches, roses au centre, le Houlle (Parkia biglobosa Benth.), quelques Baobabs de petite taille à l’entrée du village, de nombreux Kévers (Sapindus senegalensis Poir.) et Somons (Dialium nitidum Guill. et Perr.). De très nombreux palmiers à huile, se trouvent autour du village. Des lianes entourent les arbres et montent à une très grande hauteur. La liane des bords du fleuve, à grandes feuilles, est commune. Les environs de Mampalago sont occupés par une véritable forêt-vierge et des fourrés très épais de palmiers à huile et de grands arbres enlacés de puissantes lianes. Des troncs d’arbres sont tombés, et leur bois se décompose lentement par terre.
[155]Des papillons nombreux, multicolores, voltigent sous les ombrages épais. Les fourrés sont parfumés bien qu’on n’aperçoive pas de fleurs. Celles-ci sont souvent situées à une grande hauteur et forment le toit de cet épais fouillis de verdure. Les lianes, en effet, ne produisent des feuilles et des fleurs que lorsqu’elles arrivent à surmonter la forêt. Plusieurs espèces produisent des épines en place de feuilles, et il est très difficile de circuler sous cette puissante forêt.
| Annales de l’Institut colonial de Marseille 1902. | Pl. V. |
[1]Imprimerie Alcan-Lévy, Paris, 1901.
[2]A mon retour, un an plus tard, je trouvai ce coin complètement transformé. Le général de Trentinian avait fait édifier le palais du gouverneur sur le plateau qui domine la cascade. Les travaux ne tardèrent pas à être abandonnés après son départ, et aujourd’hui la nature doit avoir repris ses droits.
[3]Voir sur cette plante la monographie de MM. Heckel et Schlagdenhauffen (Journal de pharmacie et de chimie, 15 juin 1887).
[4]Cette roche examinée au laboratoire de minéralogie du Muséum de Paris a été reconnue, en effet, pour de la diabase.
[5]C’est probablement la plante décrite par M. Heckel sous le nom de Solanum Duchartrei (Revue générale de Botanique de M. Bonnier 1880) et connue au Sénégal sous le nom de Beut-y-Diane. (La Direction.)
[6]Il s’agit sans doute ici du Tacca involucrata Thön. et Schum., qui est commun au Soudan, et dont le tubercule souterrain a fait l’objet d’une étude monographique avec les bulbilles aériens du Dioscorea bulbifera L. par MM. Heckel et Schlagdenhauffen, dans le Bull. de la Soc. nat. d’acclimatation, 1892. Ces tubercules sont comestibles. (La Direction.)
[7]Cette plante, originaire probablement du Maroc, en l’absence de fleurs, n’est pas déterminable. Cependant, M. Malinvaud, le savant menthologue à qui nous l’avions soumise, pense qu’elle doit être rapportée à un hybride du Mentha arvensis L. et du Mentha viridis L.
[8]Les Gabibis sont des Songaïs devenus esclaves des Touareg.
[9]Le Dr Rançon (Voyage scientifique en Haute-Gambie, 1891-92, in Annales de l’Institut colonial de Marseille, IIe vol.) cite, sous le nom de Samboni, le Cytharexylum quadrangulare Jacq. dont le bois serait employé, dit-il, en Gambie parmi ceux qui servent à la fabrication de l’instrument de musique appelé Balafon. Mais cette espèce est américaine, comme presque toutes celles de ce genre ; il s’agit donc d’une espèce nouvelle vraisemblablement.
| TABLE DES MATIÈRES |
| PRÉFACE |
| INTRODUCTION |
| CHAPITRE PREMIER : BAMMAKO |
| CHAPITRE II : ANCIENS ÉTATS DE SIKASSO. — RÉGION DE SINDOU. — TERRITOIRES DE LA HAUTE-VOLTA |
| CHAPITRE III : ENVIRONS DE TOMBOUCTOU ET RÉGION DES LACS DU NIGER MOYEN |
| CHAPITRE IV : SÉNÉGAL : CAYOR, BAOL, RÉGION LITTORALE DES NIAYES. |
| CHAPITRE V : LA CASAMANCE |
| NOMS SCIENTIFIQUES RAPPORTÉS A QUELQUES NOMS INDIGÈNES DES PLANTES CITÉES |